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Le Cardinal Joseph Cardijn est né le 13 novembre 1882 à Schaerbeek. Dès
son plus jeune âge, il est plongé dans la réalité ouvrière. Lorsque, à
l'âge de douze ans, il assiste à un prêche du prêtre Daens, il décide de
devenir prêtre à son tour et de se mettre au service de la classe
ouvrière. Il jura à son père mourant de consacrer sa vie à la cause des
travailleurs. Animateur, prophète, galvanisateur de la jeunesse ouvrière,
un des principaux acteurs de l'engagement social de l'Église catholique
au début de ce siècle,il
a été pour des millions de jeunes gens dans le monde le révélateur d'une
vision qui ouvrit une voie vers une nouvelle classe ouvrière. Le 22 septembre
1906, Joseph Cardijn est ordonné prêtre et
reçoit la possibilité d'étudier le syndicalisme anglais, allemand et
français. Il décède le 24 juillet 1967 mais sa
mémoire reste vivante au travers du mouvement qu'il a fondé.
Ses parents sont des travailleurs simples et pieux. Son père est
marchand de charbon à Halle et sa mère tient un café où il est
confronté à la réalité ouvrière. La grande grève de 1888 le marque
profondément. Alors que la majorité de ses camarades de classe va
travailler, il décide de poursuivre ses études pour devenir prêtre.
Après sa première année de collège, Joseph Cardijn est très troublé par
les déclarations de ses anciens camarades de classe qui le traitent de
traître et lui reprochent d'avoir choisi le camp des riches. Il se fait la
promesse de devenir le prêtre des ouvriers. Il n'accède pas à la demande
de Powell de créer un mouvement scout en Belgique. En effet, son souhait
est de fonder un mouvement qui transformera le milieu ouvrier. En 1912,
vicaire à Laeken, il y cause un certain émoi en s'installant dans les
quartiers ouvriers plutôt que dans une villa près du Palais
royal. Inspirant la confiance aux ouvriers, il les réunit en petites
équipes, fondant ainsi les prémisses de la Jeunesse ouvrière catholique
(JOC).
Forgea sa conviction et la méthode de « l'apostolat proprement laïc du
laïc » dès le temps de son vicariat à Laeken (1912), où il créa des cercles d'études, de
réflexions sur les faits en vue de l'action, avec les jeunes travailleurs. Créa
en 1919 la jeunesse syndicaliste, puis la J.O.C. avec F. Tonnet, P.
Garcet, et J. Meert, selon la méthode « Voir, juger, agir », qui fut
répandue mondialement : se baser sur les faits, enquêter sur les
situations, se sensibiliser à la dignité de l'ouvrier-fils de Dieu,
transformer les conditions de vie ou de
travail injustes. Il appréciait le contact avec tous les hommes et,
réagissant à toutes les difficultés de son temps, effectua 24
voyages intercontinentaux. En 1962, la
J.O.C. comptait des sections dans 88 pays. Résistant à Laeken, il aide les
jeunes à rejoindre l'armée en passant en fraude la frontière, distribue aux
familles vivres, vêtements ou combustible. En août 1915, l'abbé est nommé par
le cardinal Mercier à la direction des œ uvres Sociales de
l'arrondissement de Bruxelles, mais il cumule cette fonction avec son ministère
à Laeken. Le 8
novembre, à la Collégiale Sainte- Gudule, le Cardinal préside un service
solennel pour les victimes militaires et civiles de la guerre. LA foule
stationne jusque dans les portails. L'abbé Cardijn, chargé de l'homélie,
stigmatise l'injuste agression allemande et qualifie de prostitution l'attitude
des Belges qui collaborent avec l'occupant; il appelle toute la population à
s'unir et à s'entraider avec une invincible confiance en une juste paix.
Le 17 novembre 1916, au nom des 130.000 syndiqués chrétiens de Bruxelles, l'abbé
adresse aux Autorités occupantes, aux Puissances neutres et au Souverain Pontife
une lettre solennelle de protestation contre la déportation en Allemagne des
ouvriers belges. Ce geste rejoint celui qu'ont déjà posé, en faveur de la même
cause, le cardinal Mercier et les représentants les plus qualifiés de la nation.
Le 6 décembre, une patrouille militaire vient cueillir le coupable à la
sacristie, juste après la messe. Il souffre surtout de sort de son mère, à qui
le chagrin fait perdre la raison. Le 7 février, il comparaît, avec 25 autres
détenus devant le Tribunal Militaire qui siège au Palais de la Nation. Défendu
par le sénateur Alexandre Braun, il est condamné à 13 mois d'emprisonnement et à
150 ,marks d'amende. Immédiatement après, il rédige sur ce jugement dix longues
pages d'une extraordinaire lucidité. Elles sont sévères pour la soi-disant
justice de l'occupant.
Ces manuscrits de la prison de
Saint-Gilles,
constituent des documents essentiels. Ils révèlent tout ce qui se passe
dans la tête et l'âme de l'abbé Cardijn. De fait, il écrit beaucoup. Et
c'est cela sans doute qui aura sauvé son équilibre nerveux. En tête d'un
long mémoire rédigé dans la cellule 58, il s'exprime ainsi :
« La cellule d'un prisonnier n'est jamais vide; elle est remplie de
toutes les visions d'idéal qui font la vie de sa vie et dont l'image le
poursuit [...]. Ce qui rend le séjour en prison supportable, c'est le
désir passionné, l'espoir ardent de pouvoir reprendre le collier demain;
de se remettre à la tâche avec mille fois plus d'enthousiasme qu'hier,
avec une conviction plus profonde et une fermeté plus décidée. La
séparation aiguise le désir jusqu'à l'exaspération; la souffrance trempe
le courage contre les obstacles et les difficultés. »
L'abbé reste néanmoins en liaison permanente avec les divers cercles d'étude et
les responsables des activités de Laeken. Des centaines de pages voyagent
clandestinement dans les deux sens, finement enroulées et glissées sous la
doublure de la valise dans laquelle on lui apporte de la nourriture, du linge,
des médicaments pour soigner son asthme. On y trouve, entre autres, douze études
d'économie politique à partir du texte de RERUM NOVARUM, une analyse fouillée
faisant l'évaluation de chacune des uvres sociales de la paroisse et de
l'agglomération bruxelloise, des recommandations spirituelles, des préparations
de causeries, des billets plein de soucis au sujet de sa mère. Seul dans sa
cellule, il refait une lente lecture de toute la Bible etde plusieurs uvres de
Karl Marx, DAS KAPITAL notamment. Il continue aussi sa réflexion sur la
situation des jeunes qui travaillent : comment résoudre ce problème ? A partir
de l'expérience déjà acquise, il cherche à ébaucher les premiers traits d'une
solution plus organique. Déjà visionnaire, il scrute un avenir plus lointain
encore :
« La première moitié du XX° siècle verra naître un monde nouveau. Cette
naissance ne se fera pas sans révolutions, sans luttes, sans
déchirements. Trop de colères se sont amassés, trop de souffrances ont
été endurées, trop d'injustices ont été perpétrées, trop de fautes
commises pour que le nouvel ordre de choses puisse s'établir dans la paix
et la sérénité. »
Beaucoup œuvrent pour sa liberté. Se croyant sur le point d'être
transféré en Allemagne, adressant à
Laeken ses ultimes recommandations, il est relâché le 15
juin 1917,
après sept mois de prison. Il reprend son ministère mais, sans beaucoup
attendre, le voilà impliqué dans des activités patriotiques : avec un petit
groupe de jeunes gens et surtout de jeunes filles, il a participé aux services
d'espionnage en faveur des armées alliées. Le 23 juin 1918, il se retrouve dans
une autre cellule de Saint-Gilles et passe à nouveau en jugement. Cette fois, la
sentence est plus lourde : dix ans de travaux forcés ! Seule la fin imminente
des opérations militaires entraîne sa libération, peu avant l'armistice.
Cardijn souhaite ardemment œuvrer en faveur des jeunes ouvriers.
Durant sa jeunesse, la Belgique est divisée en deux camps politiques et
sociaux : les catholiques et les anticléricaux. Or, Cardijn est absolument
convaincu que les jeunes ouvriers peuvent jouer un rôle capital que ce
soit en matière profane ou religieuse.
En 1925, la Jeunesse syndicaliste, qui avait été créée par Joseph Tonnet,
devient sous l'impulsion de l'abbé Cardijn la Jeunesse ouvrière
chrétienne. En 1927, le Père Guérin fonda l'équivalent français, la
Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF) naquit en 1928, d'abord pour
informer les ouvrières d'usine sans formation. Dans ses
objectifs
d'éducation, la J.O.C. reprend notamment des idées de Marc Sangnier.
En 1944, au domicile de l'abbé, les agents de la Police Militaire allemande
mettent la main sur les copies d'une lettre, subversive à leurs yeux, du
cardinal Van Roey au Gouverneur allemand von Falkenhausen, lettre que l'abbé est
accusé de diffuser. Le 11 juin, dès 8 h 30 du matin, l'aumônier général de la
JOC se retrouve au siège de la Sicherheits-Polizei, de sinistre mémoire, au 510,
avenue Louise. L'abbé Cardijn est interné à la prison de Saint-Gilles,
cellule n°1.
Ces mois d'emprisonnement vont se passer dans des conditions différentes de
celles qu'il a connues lors d e son incarcération en 1916. À 60 ans, ce
prêtre
donné corps et âme à une uvre gigantesque se retrouve dans l'humble condition
humaine, comme s'il fallait prouver qu'il ne l'a jamais quittée. Dans les
billets qu'il parvient à adresser clandestinement aux siens, les questions les
plus terre-à-terre prennent un relief disproportionné : « la pape au riz
est aussi bonne qu'il y a 26 ans ! »
En effet, il souffre
beaucoup de l'alimentation extrêmement déficiente. Dans une
cellule où on vit jour et nuit à quatre, n'ayant qu'un strict minimum de
commodités sanitaires, de continuelles crises d'entérite lui rendent le régime
de vie plus insupportable encore. Lors de la visite médicale, il feint
d'y donner un caractère de gravité qui obligerait la Gestapo à le
relâcher, mais en vain. Les prisonniers disposent, en tout et pour tout,
d'un bol et d'une cuiller. Il va rester un mois sans pouvoir changer de
linge. Il tente de dissimuler l'inconfort sous une boutade : « je souffre
le plus la nuit. On couche paillasse par terre, à quatre. Mes vieux os
trop maigres sont trop raides. »
Les deux premières semaines sont mouvementées et incertaines. Il subit sept
interrogatoires successifs, entrecoupés de séjours dans un cachot sans lumière.
Les officiers allemands veulent des aveux au sujet des textes trouvés chez lui.
On lui présente deux livres saisis dans sa bibliothèque : le MEIN KAMPF d'Adolf
Hitler et LE MYTHE DU XX° SIECLE de Rosenberg, pour lui faire reconnaître ses
propres annotations dans les marges. En dix jours, il est envoyé
successivement
de la cellule n°1 au n° 93, puis au 86 et de là au 88.
Mais un beau
matin, la
prison de Saint-Gilles étant comble, Cardijn est transféré avec 50 autres
détenus, tout à côté, à la prison de Forest, partiellement réservée aux femmes.
[...]. Quel différence avec l'isolement absolu de la cellule de 1916 !
Les
compagnons changent sans cesse : « Dans quatre cellules par où j'ai passé,
dit-il, j'ai rencontré une collection intéressante de 13 compagnons » : un
prisonnier français évadé, un Frère des Écoles Chrétiennes, qui a été torturé,
deux braconniers, deux jeunes ouvriers accusés de sabotage, un travailleur qui a
volé du charbon, un entrepreneur d' Anvers , un policier d'Etterbeek, et un
garçon de café ! [...].
A son arrivée à la cellule 104 à Forest, quelle surprise ! Le voilà en
compagnie du président des Jeunes Gardes Socialistes, Arthur Haulot ! On
s'embrasse et on fait connaissance. Ici, adieu le jeu de cartes; on
discute de ce que l'on pourra
faire après la guerre - et pourquoi pas ? ensemble [...].
Depuis qu'il a été transféré à la prison de Forest, l'abbé Cardijn est entré en
contact clandestin avec les religieuses qui s'occupent des prisonnières. Elles
ont accès à une cour intérieure sur laquelle donne la cellule 104. Un système
ingénieux de transmission de messages et de menus objets est organisé. À
l'heure et au signal convenus, les trésors prohibés, attachés à une longue
ficelle, circulent de haut en bas et de bas en haut; les surs les font
suivre vers les destinataires. C'est par ce moyen aussi que l'on tente de
communiquer de détenu à détenu. Il freine parfois l'audace de certains :
« Les détenus condamnés ne peuvent avoir ni tabac, ni cigarettes. C'est
donc très dangereux de leur en passer. Le détenu d'en-bas m'a encore
fait descendre la corde plusieurs fois, pour demander du tabac,
cigarettes, papier, vivres, etc. Pour moi, c'est trop difficile. Depuis
que le carreau est remis et que mes
anciens compagnons sont partis, je dois moi-même monter sur le rebord de la
fenêtre, m'appuyer en haut de celle-ci, jeter et retirer la corde sans
rien voir ! Je risque chaque fois de déchirer ma soutane, sans songer à
la porte qui peut s'ouvrir. Puis, ces appels d'en-bas sont entendus de
toutes les cellules voisines, qui savent ainsi que c'est vous qui
apportez les messages, qu'il faut descendre la corde etc... »
Enfin le 21 septembre, la Gestapo, embarrassée de ce prisonnier trop
encombrant, ouvre les portes de sa cellule.
Il anime un
groupement de jeunes qui existe toujours et rayonne jusque bien au-delà
des frontières belges. Ses cortèges d'ouvriers chrétiens Rerum
Novarum, qui avaient lieu le jour de l'Ascension, concurrencèrent
longtemps le 1er mai socialiste. Juste après la guerre, au collège belge
à Rome, ses conférences ont notamment pour auditeur le jeune prêtre
Karol Wojtyla. En 1962,
la J.O.C., qui a repris sa devise « Voir, juger, agir, » compte des
sections dans 88 pays.
Cardijn s'investit également dans une amélioration des conditions de
travail et exige des changements en matière de salaire, de durée du temps
de travail, de santé, de sécurité et de crédits d'heure. Il est fait cardinal
en 1965, titulaire de la plus pauvre paroisse de Rome, Piétrala.
Le 10 avril 1972, six ans après sa mort, la loi sur les crédits d'heure,
qu'il avait défendue pendant des années au sein de la JOC, est adoptée.
« Les jeunes travailleurs et travailleuses ne sont ni des esclaves, ni des bêtes
de somme, ni des machines, mais des êtres libres, enfants de Dieu avec une
destinée éternelle dans un bonheur temporel. »