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Prière pour demander à Dieu lebon usage des
maladies
Blaise Pascal
I. Seigneur, dont l'esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui
êtes tellement miséricordieux, que non seulement les prospérités, mais les
disgrâces mêmes qui arrivent à vos élus sont les effets de votre
miséricorde, faites-moi la grâce de n'agir pas en païen dans l'état où
votre justice m'a réduit ; que, comme un vrai chrétien, je vous
reconnaisse pour mon Père et pour mon Dieu, en quelque état que je me
trouve, puisque le changement de ma condition n'en apporte pas à la vôtre,
que vous êtes le même, quoique je sois sujet au changement, et que vous
n'êtes pas moins Dieu quand vous affligez et quand vous punissez, que
quand vous consolez, et que vous usez d'indulgence.
II. Vous m'avez donné la santé pour vous servir, et j'en ai fait un usage
tout profane. Vous m'envoyez maintenant la maladie pour me corriger : ne
permettez pas que j'en use pour vous irriter par mon impatience. J'ai mal
usé de ma santé, et vous m'en avez justement puni. Ne souffrez pas que
j.use mal de votre punition. Et puisque la corruption de ma nature est
telle, qu'elle me rend vos faveurs pernicieuses, faites, ô mon Dieu, que
votre grâce toute-puissante me rende vos châtiments salutaires. Si j'ai
eu
le coeur plein de l'affection du monde, pendant qu'il a eu quelque
vigueur, anéantissez cette vigueur pour mon salut, et rendez-moi incapable
de jouir du monde, soit par faiblesse de corps, soit par zèle de charité,
pour ne jouir que de vous seul.
III. Ô Dieu, devant qui je dois rendre un compte exact de ma vie à la fin
de ma vie, et à la fin du monde ! Ô Dieu, qui ne laissez subsister le
monde et toutes les choses du monde, que pour exercer vos élus, ou pour
punir les pécheurs ! Ô Dieu, qui laissez les pécheurs endurcis dans
l.usage délicieux et criminel du monde ! Ô Dieu, qui faites mourir nos
corps, et qui à l'heure de la mort détachez notre âme de tout ce qu.elle
aimait au monde ! Ô Dieu, qui m.arrachez à ce dernier moment de ma vie, de
toutes les choses auxquelles je me suis attaché, et où j'ai mis mon coeur
! Ô Dieu, qui devez consumer au dernier jour le ciel et la terre, et
toutes les créatures qu'ils contiennent, pour montrer à tous les hommes
que rien ne subsiste que vous, et qu'ainsi rien n'est digne d'amour que
vous, puisque rien n'est durable que vous ! Ô Dieu, qui devez détruire
toutes ces vaines idoles, et tous ces funestes objets de nos passions ! Je
vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce
qu'il vous a plu prévenir en ma faveur ce jour épouvantable, en détruisant
à mon égard toutes choses, dans l'affaiblissement où vous m'avez réduit.
Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce
qu'il vous a plu me réduire dans l'incapacité de jouir des douceurs de la
santé, et des plaisirs du monde; et de ce que vous avez anéanti en
quelque sorte, pour mon avantage, les idoles trompeuses que vous
anéantirez effectivement pour la confusion des méchants, au jour de votre
colère. Faites, Seigneur, que je me juge moi-même ensuite de cette
destruction que vous avez faite à mon égard, afin que vous ne me jugiez
pas vous-même ensuite de l'entière destruction que vous ferez de ma vie et
du monde. Car, Seigneur, comme à l'instant de ma mort je me trouverai
séparé du monde, dénué de toutes choses, seul en votre présence, pour
répondre à votre justice de tous les mouvements de mon coeur, faites que
je me considère en cette maladie comme en une espèce de mort, séparé du
monde, dénué de tous les objets de mes attachements, seul en votre
présence pour implorer de votre miséricorde la conversion de mon coeur ;
et qu'ainsi j'aie une extrême consolation de ce que vous m'envoyez
maintenant une espèce de mort pour exercer votre miséricorde, avant que
vous m'envoyiez effectivement la mort pour exercer votre jugement. Faites
donc, ô mon Dieu, que comme vous avez prévenu ma mort, je prévienne la
rigueur de votre sentence ; et que je m'examine moi-même avant votre
jugement, pour trouver miséricorde en votre présence.
IV. Faites, ô mon Dieu, que j'adore en silence l'ordre de votre Providence
sur la conduite de ma vie ; que votre fléau me console ; et qu'ayant vécu
dans l'amertume de mes péchés pendant la paix, je goûte les douceurs
célestes de votre grâce durant les maux salutaires dont vous m'affligez.
Mais je reconnais, mon Dieu, que mon coeur est tellement endurci et plein
des idées, des soins, des inquiétudes et des attachements du monde, que la
maladie non plus que la santé, ni les discours, ni les livres, ni vos
Écritures sacrées, ni votre Évangile, ni vos Mystères les plus saints, ni
les aumônes, ni les jeûnes, ni les mortifications, ni les miracles, ni
l'usage des Sacrements, ni le sacrifice de votre Corps, ni tous mes
efforts, ni ceux de tout le monde ensemble, ne peuvent rien du tout pour
commencer ma conversion, si vous n'accompagnez toutes ces choses d'une
assistance tout extraordinaire de votre grâce. C'est pourquoi, mon Dieu,
je m'adresse à vous, Dieu Tout-Puissant, pour vous demander un don que
toutes les créatures ensemble ne peuvent m'accorder. Je n'aurais pas la
hardiesse de vous adresser mes cris, si quelque autre les pouvait exaucer.
Mais, mon Dieu, comme la conversion de mon coeur que je vous demande, est
un ouvrage qui passe tous les efforts de la nature, je ne puis m'adresser
qu.à l.auteur et au maître tout-puissant de la nature et de mon coeur. À
qui crierai-je, Seigneur, à qui aurai-je recours, si ce n'est à vous ?
Tout ce qui n'est pas Dieu ne peut pas remplir mon attente. C'est Dieu
même que je demande et que je cherche ; c.est à vous seul que je m'adresse
pour vous obtenir. Ouvrez mon coeur, Seigneur ; entrez dans cette place
rebelle que les vices ont occupée. Ils la tiennent sujette ; entrez-y
comme dans la maison du fort ; mais liez auparavant le fort et puissant
ennemi qui la maîtrise, et prenez ensuite les trésors qui y sont.
Seigneur, prenez mes affections que le monde avait volées ; volez
vous-même ce trésor, ou plutôt reprenez-le, puisque c.est à vous qu'il
appartient, comme un tribut que je vous dois, puisque votre image y est
empreinte. Vous l'y aviez formée, Seigneur, au moment de mon baptême qui
est ma seconde naissance ; mais elle est tout effacée. L'idée du monde y
est tellement gravée, que la vôtre n'est plus connaissable. Vous seul
avez
pu créer mon âme : vous seul pouvez la créer de nouveau. Vous seul y avez
pu former votre image : vous seul pouvez la reformer, et y réimprimer
votre portrait effacé, c'est-à-dire Jésus-Christ mon Sauveur, qui est
votre image et le caractère de votre substance.
V. Ô mon Dieu, qu'un coeur est heureux, qui peut aimer un objet si
charmant, qui ne le déshonore point et dont l'attachement lui est si
salutaire ! Je sens que je ne puis aimer le monde sans vous déplaire, sans
me nuire et sans me déshonorer; et néanmoins le monde est encore l'objet
de mes délices. Ô mon Dieu, qu'une âme est heureuse dont vous êtes les
délices, puisqu.elle peut s'abandonner à vous aimer, non seulement sans
scrupule, mais encore avec mérite ! Que son bonheur est ferme et durable,
puisque son attente ne sera point frustrée, parce que vous ne serez jamais
détruit, et que ni la vie ni la mort ne la sépareront jamais de l'objet de
ses désirs ; et le même moment, qui entraînera les méchants avec leurs
idoles dans une ruine commune, unira les justes avec vous dans une gloire
commune ; et que, comme les uns périront avec les objets périssables
auxquelles ils sont attachés, les autres subsisteront éternellement dans
l'objet éternel et subsistant par soi-même auquel ils se sont étroitement
unis. Oh ! qu'heureux sont ceux qui avec une liberté entière et une pente
invincible de leur volonté aiment parfaitement et librement ce qu'ils sont
obligés d'aimer nécessairement !
VI. Achevez, ô mon Dieu, les bons mouvements que vous me donnez. Soyez-en
la fin comme vous en êtes le principe. Couronnez vos propres dons ; car
je
reconnais que ce sont vos dons. Oui, mon Dieu ; et bien loin de prétendre
que mes prières aient du mérite qui vous oblige de les accorder de
nécessité, je reconnais très humblement qu.ayant donné aux créatures mon
coeur, que vous n'aviez formé que pour vous, et non pas pour le monde, ni
pour moi-même, je ne puis attendre aucune grâce que de votre miséricorde,
puisque je n'ai rien en moi qui vous y puisse engager, et que tous les
mouvements naturels de mon coeur, se portant tous vers les créatures ou
vers moi-même, ne peuvent que vous irriter. Je vous rends donc grâces, mon
Dieu, des bons mouvements que vous me donnez, et de celui même que vous me
donnez de vous en rendre grâces.
VII. Touchez mon coeur du repentir de mes fautes, puisque, sans cette
douleur intérieure, les maux extérieurs dont vous touchez mon corps me
seraient une nouvelle occasion de péché. Faites-moi bien connaître que
les
maux du corps ne sont autre chose que la punition et la figure tout
ensemble des maux de l'âme. Mais, Seigneur, faites aussi qu'ils en soient
le remède, en me faisant considérer, dans les douleurs que je sens, celle
que je ne sentais pas dans mon âme, quoique toute malade et couverte
d'ulcères. Car, Seigneur, la plus grande de ses maladies est cette
insensibilité, et cette extrême faiblesse qui lui avait ôté tout sentiment
de ses propres misères. Faites-les moi sentir vivement, et que ce qui me
reste de vie soit une pénitence continuelle pour laver les offenses que
j'ai commises.
VIII. Seigneur, bien que ma vie passée ait été exempte de grands crimes,
dont vous avez éloigné de moi les occasions, elle vous a été néanmoins
très odieuse par sa négligence continuelle, par le mauvais usage de vos
plus augustes sacrements, par le mépris de votre parole et de vos
inspirations, par l'oisiveté et l'inutilité totale de mes actions et de
mes pensées, par la perte entière du temps que vous ne m'aviez donné que
pour vous adorer, pour rechercher en toutes mes occupations les moyens de
vous plaire, et pour faire pénitence des fautes qui se commettent tous les
jours, et qui même sont ordinaires aux plus justes, de sorte que leur vie
doit être une pénitence continuelle sans laquelle ils sont en danger de
déchoir de leur justice. Ainsi, mon Dieu, je vous ai toujours été
contraire.
IX. Oui, Seigneur, jusqu'ici j'ai toujours été sourd à vos inspirations :
j'ai méprisé tous vos oracles ; j'ai jugé au contraire de ce que vous
jugez ; j.ai contredit aux saintes maximes que vous avez apportées au
monde du sein de votre Père Éternel, et suivant lesquelles vous jugerez le
monde. Vous dites : « Bien-heureux sont ceux qui pleurent, et malheur à
ceux qui sont consolés. » Et moi j'ai dit : « Malheureux ceux qui
gémissent, et très heureux ceux qui sont consolés. » J'ai dit : « Heureux
ceux qui jouissent d'une fortune avantageuse, d'une réputation glorieuse
et d'une santé robuste. » Et pourquoi les ai-je réputés heureux, sinon
parce que tous ces avantages leur fournissaient une facilité très ample de
jouir des créatures, c'est-à-dire de vous offenser ? Oui, Seigneur, je
confesse que j'ai estimé la santé un bien; non pas parce qu'elle est un
moyen facile pour vous servir avec utilité, pour consommer plus de soins
et de veilles à votre service, et pour l'assistance du prochain ; mais
parce qu'à sa faveur je pouvais m'abandonner avec moins de retenue dans
l.abondance des délices de la vie, et en mieux goûter les funestes
plaisirs. Faites-moi la grâce, Seigneur, de réformer ma raison corrompue,
et de conformer mes sentiments aux vôtres. Que je m'estime heureux dans
l'affliction, et que, dans l'impuissance d'agir au dehors, vous purifiiez
tellement mes sentiments qu'ils ne répugnent plus aux vôtres ; et qu'ainsi
je vous trouve au-dedans de moi-même, puisque je ne puis vous chercher
au-dehors à cause de ma faiblesse. Car, Seigneur, votre Royaume est dans
vos fidèles ; et je le trouverai dans moi-même si j'y trouve votre Esprit
et vos sentiments.
X. Mais, Seigneur, que ferai-je pour vous obliger à répandre votre Esprit
sur cette misérable terre ? Tout ce que je suis vous est odieux, et je ne
trouve rien en moi qui vous puisse agréer. Je n'y vois rien, Seigneur, que
mes seules douleurs qui ont quelque ressemblance avec les vôtres.
Considérez donc les maux que je souffre et ceux qui me menacent. Voyez
d'un oeil de miséricorde les plaies que votre main m'a faites, ô mon
Sauveur, qui avez aimé vos souffrances en la mort ! Ô Dieu, qui ne vous
êtes fait homme que pour souffrir plus qu.aucun homme pour le salut des
hommes ! Ô Dieu, qui ne vous êtes incarné après le péché des hommes et qui
n'avez pris un corps que pour y souffrir tous les maux que nos péchés ont
mérité ! Ô Dieu, qui aimez tant les corps qui souffrent, que vous avez
choisi pour vous le corps le plus accablé de souffrances qui ait jamais
été au monde ! Ayez agréable mon corps, non pas pour lui-même, ni pour
tout ce qu'il contient, car tout y est digne de votre colère, mais pour
les maux qu'il endure, qui seuls peuvent être dignes de votre amour. Aimez
mes souffrances, Seigneur, et que mes maux vous invitent à me visiter.
Mais pour achever la préparation de votre demeure, faites, ô mon Sauveur,
que si mon corps a cela de commun avec le vôtre, qu.il souffre pour mes
offenses, mon âme ait aussi cela de commun avec la vôtre, qu'elle soit
dans la tristesse pour les mêmes offenses ; et qu'ainsi je souffre avec
vous, et comme vous, et dans mon corps, et dans mon âme, pour les péchés
que j'ai commis.
XI. Faites-moi la grâce, Seigneur, de joindre vos consolations à mes
souffrances, afin que je souffre en Chrétien. Je ne demande pas d'être
exempt des douleurs ; car c'est la récompense des saints : mais je demande
de n'être pas abandonné aux douleurs de la nature sans les consolations de
votre Esprit ; car c'est la malédiction des Juifs et des Païens. Je ne
demande pas d'avoir une plénitude de consolation sans aucune souffrance ;
car c'est la vie de la gloire. Je ne demande pas aussi d'être dans une
plénitude de maux sans consolation; car c'est un état de Judaïsme ; mais
je demande, Seigneur, de ressentir tout ensemble et les douleurs de la
nature pour mes péchés, et les consolations de votre Esprit par votre
grâce ; car c'est le véritable état du Christianisme. Que je ne sente pas
des douleurs sans consolation ; mais que je sente des douleurs et de la
consolation tout ensemble, pour arriver enfin à ne sentir plus que vos
consolations sans aucune douleur. Car, Seigneur, vous avez laissé languir
le monde dans les souffrances naturelles sans consolation, avant la venue
de votre Fils unique : vous consolez maintenant et vous adoucissez les
souffrances de vos fidèles par la grâce de votre Fils unique ; et vous
comblez d'une béatitude toute pure vos Saints dans la gloire de votre Fils
unique. Ce sont les admirables degrés par lesquels vous conduisez vos
ouvrages. Vous m'avez tiré du premier : faites-moi passer par le second,
pour arriver au troisième. Seigneur, c'est la grâce que je vous demande.
XII. Ne permettez pas que je sois dans un tel éloignement de vous, que je
puisse considérer votre âme triste jusqu'à la mort, et votre corps abattu
par la mort pour mes propres péchés, sans me réjouir de souffrir et dans
mon corps et dans mon âme. Car, qu'y a-t-il de plus honteux et néanmoins
de plus ordinaire dans les chrétiens et dans moi-même, que tandis que vous
suez le sang pour l'expiation de nos offenses, nous vivons dans les
délices; et que des Chrétiens qui font profession d'être à vous, que ceux
qui par le baptême ont renoncé au monde pour vous suivre, que ceux qui ont
juré solennellement à la face de l'Église de vivre et de mourir avec vous,
que ceux qui font profession de croire que le monde vous a persécuté et
crucifié, que ceux qui croient que vous êtes exposé à la colère de Dieu et
à la cruauté des hommes pour les racheter de leurs crimes ; que ceux,
dis-je, qui croient toutes ces vérités, qui considèrent votre corps comme
l'hostie qui s'est livrée pour leur salut, qui considèrent leurs plaisirs
et les péchés du monde, comme l'unique objet de vos souffrances, et le
monde même comme votre bourreau, recherchent à flatter leurs corps par ces
mêmes plaisirs, parmi ce même monde; et que ceux qui ne pourraient, sans
frémir d'horreur, voir un homme caresser et chérir le meurtrier de son
père qui se serait livré pour lui donner la vie, puissent vivre comme j'ai
fait, avec une pleine joie, parmi le monde que je sais véritablement avoir
été le meurtrier de celui que je reconnais pour mon Dieu et mon Père, qui
s'est livré pour mon propre salut, et qui a porté en sa personne la peine
de nos iniquités ? Il est juste, Seigneur, que vous ayez interrompu une
joie aussi criminelle que celle dans laquelle je me reposais à l'ombre de
la mort.
XIII. Ôtez donc de moi, Seigneur, la tristesse que l'amour de moi-même me
pourrait donner de mes propres souffrances, et des choses du monde qui ne
réussissent pas au gré des inclinations de mon coeur, qui ne regardent pas
votre gloire. Mais mettez en moi une tristesse conforme à la vôtre ; que
mes douleurs servent à apaiser votre colère. Faites-en une occasion de mon
salut et de ma conversion. Que je ne souhaite désormais de santé et de vie
qu'afin de l'employer et la finir pour vous, avec vous et en vous. Je ne
vous demande ni santé, ni maladie, ni vie, ni mort ; mais que vous
disposiez de ma santé et de ma maladie, de ma vie et de ma mort, pour
votre gloire, pour mon salut, et pour l'utilité de l'Église et de vos
Saints, dont j'espère par votre grâce faire une portion. Vous seul savez
ce qui m'est expédient : vous êtes le souverain maître, faites ce que vous
voudrez. Donnez-moi, ôtez-moi ; mais conformez ma volonté à la vôtre ; et
que, dans une soumission humble et parfaite et dans une sainte confiance,
je me dispose à recevoir les ordres de votre providence éternelle, et que
j'adore également tout ce qui me vient de vous.
XIV. Faites, mon Dieu, que dans une uniformité d'esprit toujours égale je
reçoive toute sorte d'événements, puisque nous ne savons ce que nous
devons demander, et que je n'en puis souhaiter l'un plutôt que l'autre
sans présomption, et sans me rendre juge et responsable des suites que
votre sagesse a voulu justement me cacher. Seigneur, je sais que je ne
sais qu'une chose : c'est qu'il est bon de vous suivre, et qu'il est
mauvais de vous offenser. Après cela je ne sais lequel est ou le meilleur
ou le pire en toutes choses. Je ne sais lequel m'est profitable de la
santé ou de la maladie, des biens ou de la pauvreté, ni de toutes les
choses du monde. C'est un discernement qui passe la force des hommes et
des anges, et qui est caché dans les secrets de votre providence que
j'adore et que je ne veux pas approfondir.
XV. Faites donc, Seigneur, que tel que je sois je me conforme à votre
volonté ; et qu.étant malade comme je suis, je vous glorifie dans mes
souffrances. Sans elles je ne puis arriver à la gloire ; et vous-même, mon
Sauveur, n.y avez voulu parvenir que par elles. C.est par les marques de
vos souffrances que vous avez été reconnu de vos disciples ; et c.est par
les souffrances que vous reconnaissez aussi ceux qui sont vos disciples.
Reconnaissez-moi donc pour votre disciple dans les maux que j.endure et
dans mon corps et dans mon esprit pour les offenses que j.ai commises. Et,
parce que rien n.est agréable à Dieu s.il ne lui est offert par vous,
unissez ma volonté à la vôtre, et mes douleurs à celles que vous avez
souffertes. Faites que les miennes deviennent les vôtres. Unissez-moi à
vous ; remplissez-moi de vous et de votre Esprit-Saint. Entrez dans mon
coeur et dans mon âme, pour y souffrir mes souffrances, et pour continuer
d.endurer en moi ce qui vous reste à souffrir de votre Passion, que vous
achevez dans vos membres jusqu.à la consommation parfaite de votre Corps ;
afin qu.étant plein de vous ce ne soit plus moi qui vive et qui souffre,
mais que ce soit vous qui viviez et souffriez en moi, ô mon Sauveur ; et
qu.ainsi, ayant quelque petite part à vos souffrances, vous me remplissiez
entièrement de la gloire qu.elles vous ont acquise, dans laquelle vous
vivez avec le Père et le Saint-Esprit, par tous les siècles de siècles.
Ainsi soit-il.
Ad majorem Dei gloriam