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LE MARIAGE EN TANT
QU'ALLIANCE
Par le Père Jean BRECK
L'Institut de théologie Saint-Vladimir,
à Crestwood (New York), organisait, du 21 au 25 juin 2004, un séminaire de théologie
liturgique et pastorale sur le thème « Le mariage chrétien a-t-il un avenir ? » Le
thème avait été choisi face à la réalité, omniprésente, des couples non mariés, à
celle des situations liées à l'infidélité conjugale ou au divorce, ainsi qu'au
mouvement actuel en faveur de la légalisation des unions et mariages de personnes
du même sexe. C'est au père Jean BRECK, professeur à l'Institut de théologie
Saint-Serge, à Paris, qu'il avait été demandé d'introduire ce séminaire en
présentant une communication sur « Le mariage en tant qu'alliance ». Les
passages significatifs ici reproduits viennent du Service orthodoxe de presse, et
l'intégralité paraît dans la collection des Suppléments au SOP (référence : Supplément
293.B ; 3,05 € franco ). Spécialiste du Nouveau Testament et des questions de bioéthique,
le père Jean BRECK enseigne l'exégèse patristique des Écritures ainsi que la bioéthique à
l'Institut Saint-Serge, à Paris, après avoir été professeur à l'Institut de théologie
Saint-Vladimir, à New York. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de théologie biblique,
parmi lesquels une introduction à l'herméneutique orthodoxe, intitulée La Puissance de la
Parole, dont la traduction française est parue aux éditions du Cerf en 1996. […]
De nos jours, nous sommes appelés à prendre conscience de ce qui pour nous est essentiel,
particulièrement dans le domaine de la sexualité, et ce face aux énormes pressions du
monde séculier. Ce n'est pas que nous rejetions – ou ça ne devrait pas l'être –
l'expression de la sexualité par réaction puritaine ou que, par dégoût homophobe, nous
ayons un mouvement de recul devant les unions entre personnes de sexe identique. C'est
que l'Église reconnaît que les relations sexuelles intimes ont reçu de Dieu un potentiel
unificateur, sacramentel et procréateur qui ne peut être réalisé de manière saine et
sainte que dans le contexte d'une union conjugale hétérosexuelle, monogame, profondément
engagée dans l'Église. […] Nous pourrions polémiquer en invoquant des passages bibliques
contre tout : du divorce à la fornication et à l'homosexualité. Ou bien nous pourrions
discrètement nous résigner aux réalités de « ce » monde, espérant contre tout espoir
que nos propres enfants arriveront d'une manière ou d'une autre à être épargnés de tout
cela. Ni l'une ni l'autre de ces attitudes ne sert à rien, ni ne répond aux réels besoins
de nos adolescents. Quel que soit notre jugement sur les divers types de comportement
sexuel d'aujourd'hui, il est impératif qu'en tant que membres du Corps du Christ, nous
soyons à l'écoute de nos jeunes, que nous nous efforcions de comprendre leur raisonnement
et que nous réagissions; il faudrait aussi que nous leur répondions de façon aussi directe
et aussi pleine de compassion et de tendresse que nous le pouvons. Simultanément, nous
devons, à propos de la sexualité dans son ensemble, depuis la procréation, le don de la
vie, et jusqu'au sida porteur de mort, proposer à nos jeunes une réflexion sérieuse,
saine et équilibrée, et le faire dans le cadre familial autant que dans nos communautés
paroissiales.
« Nous devons écouter, enseigner, guider, bénir et pardonner »
En ce qui concerne les couples non mariés, il faut que nous comprenions la réticence que
beaucoup ressentent à contracter de nos jours un mariage légal, alors que le taux de
divorce dépasse les 50 %, et que les contrats de mariage ne peuvent éliminer ni la
blessure, ni les tracas administratifs, qui accompagnent le règlement d'un divorce.
S'ils semblent s'obstiner à ignorer ce que nous considérons comme la réalité essentielle
du mariage, c'est souvent parce que nous-mêmes nous avons échoué à leur offrir un modèle
acceptable de relations conjugales justes et en fin de compte satisfaisantes. Et d'autre
part, si l'attitude de nos enfants envers la sexualité peut être souvent d'une désolante
désinvolture, dépourvue de profondeur et d'engagement réels, c'est en grande partie sans
doute parce que nous avons accepté que les relations sexuelles, dans nos milieux, soient
dépréciées et dépouillées de leur authentique mystère. Si leur comportement sexuel peut
paraître choquant aux générations plus âgées, cela est dû principalement à un échec de
notre part à transmettre certaines vérités : que la personne humaine est d'une infinie
valeur et qu'elle mérite par conséquent un respect inconditionnel, incluant le respect
de l'intimité du corps; ou que la joie, la beauté et le but ultime du mariage authentique
sont donnés par Dieu comme un avant-goût de la vie dans le Royaume des cieux. La conduite
de nos enfants, et la dissolution de la moralité sexuelle en général, a autant d'effet
sur nous que sur eux. Au lieu de les blâmer, les condamner ou les rejeter, eux et leur
conduite, nous devons écouter, enseigner, guider, bénir et pardonner. Nous devons
comprendre – même quand nous ne pouvons pas les approuver – leurs motivations, leurs
craintes et leurs aspirations. Par-dessus tout, nous devons redécouvrir l'essence du
mariage chrétien, pour nous-mêmes autant que pour eux, et lui donner la possibilité de
transformer nos propres relations conjugales en une image vivante ou une icône de l'amour
ou de l'offrande mutuelle de soi qui unissent le Christ et l'Église en « un grand mystère »
(Ep 5,32).
Les « unions entre personnes de même sexe »
C'est en grande partie la même démarche qu'il faut avoir envers les unions entre personnes
de même sexe, que le statut légal du mariage leur soit ou non accordé. Là aussi, il nous
serait facile de condamner l'homosexualité et les couples de même sexe sans essayer de
comprendre les motivations des gens en cause, ou les facteurs sous-jacents à leur
conduite. L'Écriture condamne sans ambiguïté les actes homosexuels, et l'apôtre Paul
ajoute que ceux qui commettent de tels actes « n'hériteront pas du Royaume de Dieu ».
Mais à ceux qui sont ainsi condamnés, il ajoute aussi ceux qui sont enclins aux abus
verbaux (loidoroi), à l'ivrognerie (m ethusoi), et même à la convoitise (pleonektai)
(1 Co 6,9-10). Mon propos n'est pas de dire ici que ce sont là des conduites acceptables
et que Paul avait tout simplement tort. Mais nous savons maintenant que derrière un
grand nombre de ces comportements, dénoncés comme conduites volontaires, il y a souvent
des motivations et des pulsions inconscientes qui les conditionnent. […] Il ne s'agit
pas ici de minimiser quoi que ce soit, mais plutôt de dire que l'inclusion de ces
comportements dans la liste de saint Paul doit être comprise dans son contexte
culturel, historique, et même médical. Cela est également vrai de l'homosexualité.
Jusqu'à récemment, elle était, elle aussi, considérée comme l'expression de la libre
volonté. Nous savons aujourd'hui qu'il y a une « orientation homosexuelle », distincte
des actes spécifiques. Que cette orientation soit due à la « nature » ou à l'« éducation »,
aux gènes ou à l'environnement, reste une question ouverte. Quelle que soit la réponse qu'on
lui apporte un jour, nous devrions continuer à tenter de comprendre les sentiments et les
conduites de vie des homosexuels hommes et femmes. Je le répète, cela ne signifie pas que
nous approuvions les actes homosexuels. Au contraire, en dépit des protestations
d'autojustification de la communauté gay, l'expérience pastorale, ajoutée aux facteurs
génétiques ou environnement aux qui entrent en jeu dans l'homosexualité, conduisent un
grand nombre d'entre nous à la conviction qu'il y a quelque chose de malsain, une
dysfonction, un désordre, dans la condition homosexuelle elle-même, et que, par
conséquent, elle est potentiellement destructrice quand elle débouche sur l'activité
sexuelle. Néanmoins, il est impératif de ne pas confondre le passage à l'acte et celui
qui le commet, en particulier quand la personne désire soit changer d'orientation
sexuelle, pour autant que cela soit possible, soit s'orienter vers la chasteté. […]
Il existe une « voie meilleure »
Est-il envisageable, donc, que l'Église orthodoxe, un jour, bénisse le mariage gay ou
les unions de gens du même sexe ? La réponse est, sans aucun doute : non. Ce n'est
cependant pas, ou ce ne devrait jamais être, par réaction puritaine ou « homophobe »,
par opposition de principe à une conduite jugée, comme c'est encore souvent le cas,
aberrante ou repoussante. C'est bien plutôt parce qu'il y existe une « voie meilleure »
qui mène à un bien- être supérieur tant au point de vue physique que spirituel. Cette
voie meilleure requiert peut-être qu'une personne aux tendances homosexuelles déclarées
soit prête à s'engager dans un combat de toute une vie pour demeurer dans la chasteté,
telle que nous venons d'en préciser le sens, ou, qu'à tout le moins, elle demeure
endurante dans le repentir sincère, alors même qu'elle ne satisfait pas à cette
exigence. Dans cette disposition-là, rien ne la différencie, d'ailleurs, d'un homme ou
d'une femme hétérosexuel célibataire, qui doit de la même manière lutter contre les
tentations et les désirs sexuels afin de demeurer dans la chasteté. C'est là
certainement une prise de position impopulaire, considérée comme totalement démodée,
même par un grand nombre de nos fidèles. Pourtant, la tradition monastique de l'Église
a confirmé depuis bien longtemps la puis sance de la maîtrise sexuelle intégrale dans
l'acquisition de la chasteté qui, bien plus qu'une sim ple abstention, est disponibilité
au spirituel. à ceux qui répliquent à cela que tous ne sont pas appelés au monachisme,
ce qui est évident, il faut rappeler que la sexualité est une puissante énergie –
l'intensité des plaisirs qu'elle procure en est un signe – qui n'est pas sa propre
finalité et que l'amour auquel elle est étroitement associée lui indique son moyen et son
but ultime, à savoir l'expression profonde et sanctifiante de l'amour-charité. En
particulier pour ceux qui sont célibataires, l'erôs de la chair peut se transformer
progressivement en erôs divin, en agapè, qui s'exprime en un désir insatiable d'union
avec Celui qui est à l'origine et à la fin de tout amour. […]
Le terme de « mariage » doit désigner exclusivement l'union d'un homme et d'une femme
Sans essayer de résoudre ici le problème, nous pouvons du moins dire les choses suivantes. Il
semble approprié de faire une distinction entre les « unions de même sexe", et les « mariages
de même sexe ». Les premières sont maintenant une réalité dans de nombreuses sociétés occidentales,
y compris la nôtre. Les faits invoqués pour leur défense sont qu'elles protègent des injustices sociales
ou légales ; qu'elles offrent également une alternative à la promiscuité qui a sévi et conduit à
tant de souffrance et de morts en notre époque de sida ; enfin le plus important, vu que de
tels couples peuvent déjà, dans certains pays, légalement adopter des enfants, c'est que
la reconnaissance sociale et légale de leur union offrirait la stabilité et une protection
nécessaires à ces enfants qui sans cela en seraient privés. Néanmoins, il semble tout aussi
clair que l'Église ne devrait jamais bénir formellement de telles unions. Dans la mesure
où elles impliquent des rapports homosexuels actifs, elles sont basées sur une relation
que nous ne pouvons considérer comme matrimoniale. Cette relation, du reste, peut être
particulièrement problématique quand de tels couples adoptent des enfants. Heather a
peut-être deux mamans [dans les écoles secondaires aux USA, les enfants lisent souvent,
dans leur cursus scolaire, un livre qui porte le titre Heather has two Mommies], mais,
somme toute, ça ne serait sans doute pas plus mal pour elle si, après tout, elle avait
une maman et un papa . C'est là une vérité inscrite dans la nature humaine elle-même, et
qui doit être reconnue et défendue en conséquence. Et nous devons d'autant plus fermement
et catégoriquement rejeter les pressions grandissantes pour que soient universellement
acceptés les mariages de personnes du même sexe. Le terme même de « mariage » doit être
conservé, préservé et protégé, pour désigner exclusivement l'union d'un homme et d'une
femme, dans un lien formel caractérisé par la fidélité et la permanence. Cette
définition, nous allons le voir, est totalement insuffisante pour définir le mariage
chrétien. Mais même dans son usage séculier, le terme « mariage » doit garder sa
définition conventionnelle. Cela est nécessaire pour sauvegarder le rôle social,
psychologique et spirituel de la famille nucléaire, fondée sur la complémentarité des
sexes entre le mari et la femme. […] Le témoignage que nous pouvons apporter au monde
qui nous entoure est certainement plus important que tout texte de loi. Mais pour que
ce témoignage soit effectif, nous devons incarner dans chacune de nos familles
l'engagement et la responsabilité, la fidélité et l'amour auxquels Dieu nous appelle
dans le lien d'alliance sacramentelle de l'union conjugale. [...]
« Participer à un amour faisant don de soi »
L'orthodoxie considère les deux aspects du mariage, procréation et union, comme
importants. Mais elle voit la raison ultime de l'union conjugale dans une vérité
plus grande encore. Le mari et la femme sont unis dans le mariage afin de participer
à un amour faisant don de soi, qui est d'origine transcendantale. Cet amour, qui suscite
le désir mutuel tout en créant une nouvelle réalité, « une seule chair », trouve son
expression la plus sublime dans le désir partagé dans le couple pour la vie éternelle,
en communion avec la Sainte Trinité. Outre la procréation et l'union dans un engagement
mutuel, l'orthodoxie déclare ainsi que le but ultime du mariage est sotériologique : par
lui, le mari et la femme sont appelés à œuvrer à leur salut mutuel, et reçoivent la
capacité de le faire. Pour saisir le mystère de l'union en une seule chair telle que Dieu
l'a conçue, nous devons l'aborder selon la perspective de la théologie de l'Église, plutôt
par exemple que selon la conception médiévale de l'amour romantique ou selon la notion
contemporaine, psychothérapeutique, de l'amour comme moyen d'accomplis sement personnel. […] Peut-être le
principal moyen de maintenir la fidélité conjugale est-il d'aimer l'autre précisément comme il ou elle est véritablement,
et pourtant aussi comme la grâce peut le ou la refaçonner. Rencontrer l'autre dans ses propres termes,
comme Dieu l'a créé et a voulu qu'il devienne, c'est s'engager dans une rencontre unique avec l'autre.
C'est enraciner la relation conjugale dans toute la dure réalité de la vie et de la lutte quotidiennes.
Et en même temps, c'est aussi transcender constamment cette réalité, pour découvrir dans l'autre la
beauté et la perfection de la personne, qui porte l'image et la ressemblance divine. Tout en
jouissant de tous les fruits et de toutes les joies de l'amour érotique, le couple de ce fait
croît ensemble dans un erôs plus profond, vécu comme une faim d'union éternelle avec
Dieu. Par conséquent, les relations sexuelles ne doivent pas être mises de côté, et ne
doivent certainement pas être méprisées comme une simple concession aux passions
charnelles. Elles sont un moyen donné par Dieu pour que le couple puisse situer sa
connaissance mutuelle dans la plus grande intimité et la plus grande plénitude
possibles. Par cette connaissance charnelle ils peuvent entrer en communion à travers
l'autre avec Celui qui est l'objet de leur désir le plus profond et le plus sublime.
L'alliance entre le mari et la femme reflète la relation entre le Christ et l'Église
Si jusqu'à présent nous avons caractérisé le mariage comme monogame, hétérosexuel,
sacramentel, et « conjugal » […], c'est que chacun de ces quatre termes est crucial
pour établir le lien unique d'alliance entre mari et fem me, qui reflète la relation
d'amour sacrificiel entre le Christ et l'Église. Ces adjectifs décrivent le contenu
et les limites de l'union à laquelle s'engage un couple chrétien par le sacrement du
mariage, compris au sens le plus large. Comme les offices liturgiques du baptême et
de la chrismation, l'office du mariage est un office « d'initiation ». Il introduit
le couple dans une réalité nouvelle, un nouveau mode d'existence, et il en fait une
création nouvelle d'« une seule chair ». L'aspect sacramentel de cette création
nouvelle n'est pas limité à l'office liturgique lui-même, mais devrait continuer et
croître durant toute la vie des personnes concernées. Exactement comme notre vie tout
entière consiste en un renouveau continuel de la grâce baptismale par le pouvoir de
l'Esprit Saint qui vient demeurer en nous, de même dans le mariage, il devrait y avoir
un continuel approfondissement et un continuel perfectionnement de la grâce conférée
par la bénédiction de l'Église lors de l'office du mariage. Le terme « mariage », par
conséquent, fait référence à l'entreprise de toute une vie d'engagement fidèle et
responsable en vue du bien-être et du salut de l'autre, l'époux. Cependant, c'est
plus qu'une union entre deux personnes. Le mariage chrétien est l'icône de la
relation d'amour qui existe entre le Christ et son Corps tout entier, l'Église
universelle. Il trouve son pouvoir et son sens ultime dans la participation à
cette relation. Le mariage est donc essentiellement une réalité ecclésiale.
Intensément personnel sur le plan des expressions de l'intimité, sexuelles
ou autres, il est aussi profondément communautaire dans la mesure où le
couple répond à l'appel qui lui est fait : que la relation matrimoniale
devienne une véritable « alliance » entre les personnes, une alliance qui
les unisse avec Dieu et avec l'entière ecclesia, avec la communion universelle des
saints, vivants et défunts. […]
Connaître l'aimé(e) dans tout le mystère magnifique et complexe de son être personnel
Si le mariage chrétien est nécessairement monogame, c'est précisément à cause de la relation
du couple avec Dieu. Comme les prophètes d'Israël l'ont maintes fois affirmé, le Seigneur
est un Dieu jaloux. Son amour pour son peuple est total et sans limites. Il s'étend à
l'humanité tout entière et à toute la création. Pou rtant cet amour se centre sur chaque
personne individuelle. Chacun de nous devient aux yeux de Dieu son unique « bien-aimé »,
son enfant « unique ». De la même façon que Dieu s'engage envers nous, le mariage
chrétien requiert que deux personnes, un homme et une femme, s'engagent totalement
et sans compromis, à la fois l'un envers l'autre et envers Dieu. Leur engagement
d'amour est exclusif, unique et total. Ce n'est qu'ainsi qu'il peut être le témoignage
de l'amour unique et sans limites du Christ pour son Église. Il y a un besoin inné chez
l'homme d'être aimé, et spécialement d'être aimé de quelqu'un en particulier. Tout aussi
inné est le besoin d'aimer quelqu'un d'autre, de diriger son énergie affective et sexuelle
vers une personne spécifique – l'aimé – qui fait naître notre confiance absolue et notre
dévouement entier. C'est précisément le caractère unique de cette relation qui donne
la capacité à cette personne, et à cet te personne seule, de devenir pour moi un « tu »,
de telle sorte que nous puissions partager ensemble et combler l'un pour l 'autre dans
le temps et l'espace les moments les plus importants de notre existence quotidienne.
[… ] La vertu principale de la monogamie est de donner le temps de connaître l'aimé(e)
dans tout le myst ère magnifique et complexe de son être personnel. Acquérir cette
sorte de connaissance est l'œuvre de toute une vie, puis que les personnes
croissent et changent chaque jour. Et cela peut durer au-delà de la vie, quand
l'époux resté vivant maintient avec le défunt une relation de communion continue,
une relation du « je » avec le « tu ». Bien que, face à l'échec, ou en cas de veuvage,
l'Église accepte le remariage, elle affirme aussi que l'union conjugale a une qualité
sacramentelle – ce qui signifie éternelle. Si le couple désire qu'il en soit ainsi, et
si par leur dévouement mutuel et leur fidèle engagement, ils s'efforcent d'y arriver,
leur union sacramentelle d'alliance peut durer et croître au-delà de la mort et dans
l'éternité. […]
Participer à l'œuvre de création de personnes qui portent l'image divine
Il est dans la nature profonde du mariage d'être et de rester hétérosexuel : une union entre
un homme et une femme. La complémentarité des sexes est nécessaire à la procréation –
au moins au sens conventionnel et dans l'avenir immédiat. Et quelque considérable que
soit pour la vie conjugale la valeur de l'union, la raison la plus fondamentale de la
sexualité et du mariage reste l'invitation donnée par Dieu à « se multiplier et emplir
la terre ». C'est précisément la qualité hétérosexuelle du mariage qui permet au couple
de « procréer », c' est-à-dire de participer à l'œuvre incessante de Dieu,
œuvre de création de personnes qui portent son image divine. Le troisième
adjectif qui qualifie le mariage est celui qui le fait spécifiquement chrétien.
L'union conjugale est appelée à être bénie par Dieu, à être ecclésialisée.
La bénédiction sacramentelle confère au couple la grâce qui fait de cette union
une véritable vocation, répondant à l'appel, essentiel, où Dieu invite le couple
à la fécondité sous tous rapports : il s'agit en effet « d'être féconds et de se
multiplier » (Ge 1,28), ce qui, tout naturellement et le plus généralement,
signifie, bien sûr, devenir co-créateurs, participants à la Création, donner la
vie à des enfants; mais beaucoup plus largement encore, cela concerne tous les
domaines et tous les charismes conjoints du nouveau couple. En tant que réalité
« bénie », le mariage relie le couple d'une manière nouvelle et unique à l'Alliance
que Dieu établit avec son peuple fidèle. Il l'insère dans le flux de l'histoire du
salut, qui commence avec les patriarches, et culmine dans la vie de l'Église. Aussi
la grande prière de la liturgie orthodoxe du couronnement demande-t-elle à Dieu,
à plusieurs reprises, de « les bénir » comme il a bén i Abraham et Sarah, Isaac et
Rébecca, Joachim et Anne, Zacharie et Élisabeth. « Bénis-les », « préserve-les »,
et « souviens-toi d'eux, Seigneur notre Dieu, comme tu t'es souvenu de tes quarante
saints martyrs, leur envoyant du ciel la couronne ». Cette bénédiction est
effectivement symbolisée par les couronnes de mariage. Elles représentent à la fois
la gloire du couple nouvellement formé et le combat ascétique qui les attend. La
bénédiction de Dieu, exprimée à travers le couronnement rituel, engage les époux dans
un pèlerinage qui les unit aussi bien dans la lutte que dans la victoire, avec les
patriarches et les prophètes de l'Ancienne Alliance, et avec les apôtres et les martyrs
de la Nouvelle Alliance. […] Les couronnes de mariage témoignent de la promesse que
Dieu a faite, que pour ceux qui demeurent fidèles à son Alliance, scellée par la
bénédiction octroyée lors de la cérémonie du mariage, les couronnes du martyre seront
un jour transformées en couronnes de victoire et de joie. Enfin, le mariage chrétien
est véritablement « conjugal ». Ceci devrait être une tautologie. Mais dans l'atmosphère
contemporaine de divorces en série et d'engagement minimum, cela mérite d'être réaffirmé.
Dans une perspective chrétienne, le mariage n'est véritablement « conjugal » que s'il
représente une nouvelle création « d'une seule chair », image de l'union dans le
dévouement et l'amour parfait qui existe entre le Christ et son Église.
La matrice dans laquelle l'amour pourra réaliser le salut.
Le mariage chrétien est donc totalement différent des unions séculières, y compris
celles qui, formellement, seraient scellées par un office religieux. La composante
première et essentielle d'un mariage authentiquement ch rétien est l'engagement de la
part de chaque époux d'aimer, de pardonner, d'étreindre et de nourrir l'autre comme le
Christ aime, pardonne, étreint et nourrit tous ceux qui sont baptisés dans son Corps.
Les Saints Pères évoquent très souvent la métaphore nuptiale pour décrire la relation
entre le Christ et l'âme. Ils utilisent fréquemment le langage du Cantique des Cantiques
pour parler de la nature passionnée et véritablement érotique qui unit l'âme au Christ,
comme une fiancée à son bien-aimé. Si ces images sont acceptables pour nos aînés
spirituels, c'est parce que la Sainte Tradition elle-même place si haut le vrai but
et le vrai sens du mariage : être une icône vivante de l'erôs divin, de l'amour divin.
Le mariage chrétien a-t-il un avenir ? L'institution du mariage, en termes conventionnels,
est si menacée aujourd'hui que son avenir est de toute évidence en péril. Mais cela ne
fait que souligner le caractère unique et la nécessité, dans le monde de Dieu, de
mariages authentiques qui à la fois témoignent de l'amour de Dieu selon son Alliance
et fournissent la matrice dans laquelle cet amour pourra réaliser le salut, à la fois
pour les époux et pour leurs enfants. Face à tous les défis lancés aujourd'hui à
l'institution du mariage, notre vocation en tant que chrétiens est claire. Il s'agit
de redécouvrir et de revivre dans nos unions conjugales une profondeur de dévouement,
d'engag ement, de fidélité et d'amour qui guérisse et transforme la profonde solitude
qui menace la vie de chacun d'entre nous dans un monde hostile et dépourvu de sens.
De redécouvrir cette vérité que le mariage est fermement en raciné dans l'amitié, dans
le grand plaisir que l'on trouve dans l'autre, dans la joie de sa présence, dans le
respect de ses sentiments et de son intégrité, et dans un dévouement si pur et si
illimité que nous serions prêts à mourir pour cette personne. Si le taux de divorce
est ce qu'il est, si la violence et le délaissement conjugaux sont si communs dans
notre société, c'est en grande partie parce que les époux n'ont jamais découvert l'un
dans l'autre un réel ami et un confident unique, une source de stimulation intellectuelle
et de perfectionnement spirituel, quelqu'un avec qui ils partagent le rire, les larmes et
les plaisirs mutuels. […] (Les sous-titres sont de la rédaction du SOP.)
Ad
majorem
Dei gloriam
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