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Un jugement récent de la Cour européenne des droits de l'homme1 a relancé
le débat sur l'« homoparentalité » (deux parents de même sexe) : question
épineuse, s'il en est, qui embarrasse les politiques2, tout autant
d'ailleurs que bon nombre de psychanalystes, pédopsychiatres et
psychologues. Il est vrai que le sujet est loin d'être simple et qu'il
est difficile de s'y risquer sans être aussitôt dans le jugement, cela
d'autant, pour le psychanalyste que je suis, qu'il serait malhonnête
dévoquer une quelconque pratique clinique, chacune d'elle étant
particulière. Aussi vais-je essayer de rester dans la neutralité, me
limitant simplement à tenter d'éclairer certains aspects de la question.
Comment peut-on définir, sur le plan biologique, un enfant ? Il est le
produit de la rencontre entre deux sexes differents, même si cette
rencontre se passe in vitro. Pour la psychanalyse, l'enfant se construit
- et ne peut se construire autrement correctement - en pensant qu'il est
le résultat de la rencontre entre un homme et une femme, c'est-à-dire le
produit d'une différence. La rencontre homosexuelle n'est certes pas
stérile, mais en tout cas, et par nature, infertile.
Dans nos sociétés occidentales, le droit de la filiation est base sur
cette rencontre sexuelle entre un homme et une femme. Le droit vient
confirmer que l'être humain n'existe que comme produit de la rencontre
amoureuse entre deux individus de sexe différent, puisqu'il pose que nous
sommes tous nés d'une mère et d'un père, qu'ils soient inconnus,
biologiques, ou adoptifs3, ou que la science
ait orchestré la rencontre,
La législation suédoise va encore un peu plus loin, puisqu'elle reconnaît
le droit de l'enfant a avoir deux parents connus, au point qu'il n'est pas
possible pour une femme de garder pour elle le nom du père de son enfant.
Un enfant peut être adopté, mais, là aussi, le droit vient en fixer les
modalités. L'adoption plénière est possible pour un célibataire, pour une
personne mariée ou pour deux époux. D'évidence, si la loi ne s'oppose
pas à l'adoption monoparentale, elle ne permet pas l'adoption par un
couple homosexuel, la notion d'époux n'y existant pas. La loi est encore plus
claire en ce qui concerne la procréation médicalement assistée, stipulant
qu'elle n'est permise que pour « un couple forme d'un homme et d'une femme
vivants, en âge de procréer, mariés ou pouvant apporter la preuve d'une
communauté de vie de deux ans ».
Cette loi est un peu différente de celle sur l'adoption, puisque, bien
qu'excluant elle aussi les couples homosexuels, elle refuse aussi cette
possibilité aux femmes seules, confirmant ainsi de manière implicite le
droit d'un enfant à avoir deux parents, et de sexe différent, et vivants
au moment de la conception. Comme le rappelait le représentant du
gouvernement francais à la Cour europeenne, « le droit de l'enfant limite
le droit à l'enfant. »4
Le droit à l'« homoparentalité » est défendu, souvent, au nom de la
reconnaissance sociale de l'homosexualité comme droit à la différence.
Dans un tel contexte, à quoi peut correspondre un désir d'enfant qui ne
s'inscrit pas dans l'histoire affective et relationnelle d'un couple
homme-femme, puisque c'est ainsi qu'arrivent les enfants ! L'enfant alors
n'est pas voulu pour lui-même5, mais comme
prolongement de soi, comme
valorisation, réassurance et surtout, à notre sens, justification de
la vie affective. L'enfant serait alors « le support et le garant de
n'importe quel type de vie affective qu'il pourrait, par sa seule
presence, authentifier ».6
L'enfant instrumentalisé
L'enfant est devenu l'instrument d'une tendance sexuelle qui n'est pas
celle inscrite entre hommes et femmes, une tendance sexuelle dans laquelle
la filiation ne peut se repérer... En l'état actuel de la loi, il faudrait
porter sur l'état civil de l'enfant qu'il est né de deux hommes, ou de
deux femmes, ce qui revient à fonder la vie sur quelque chose qui ne la
permet pas, enfermant l'enfant dans un mensonge fondamental, terrifiant.
En dehors de la relation hétérosexuelle, comment l'enfant peut-il etre
reconnu ? Le risque est qu'il soit reconnu partiemllement, ou qu'il ne
soit reconnu que dans la mesure où il vient confirmer l'adulte, organisé
autour de l'homosexualité, dans sa toute-puissance. Nous pouvons alors
imaginer, si la loi sur la filiation était modifiée dans le sens de l'«
homoparentalité », que la confusion s'inscrirait au sein même de la loi,
loi qui donnerait ainsi un statut à... la confusion !
C'est bien la le problème pour l'enfant : par la confusion qu'elle
instaure, et ce d'autant qu'elle serait reconnue par la loi, la famille «
homoparentale » risque fort d'être un handicap, en ceci qu'elle ne
favorise pas le contact avec le réel. C'est ainsi qu'un adolescent adopté
de 15 ans, élevé dans un climat affectif a priori soutenant, par deux
femmes dont il ne savait pas quels liens elles avaient entre elles,
passait le clair de son temps à la gare de la ville, guettant à la
descente des trains « l'homme qui le reconnaîtrait » (c'est l'adolescent
qui le dit).
L'équilibre et le devenir psychique de l'enfant risqueraient d'être
menacés, puisqu'il n'y a que deux identités sexuelles, celle de la femme
et celle de l'homme. Deux identités, mais une multitude de tendances. Si
l'identité assure la cohérence et l'unité de la personnalité, les
tendances restent, elles, du côté des pulsions.
Cette valorisation de pulsions partielles, au détriment, bien sûr, de
la génitalité (dont on pourrait dire quelle est le sens de la relation à
l'autre dans sa spécificité), entraîne des conduites de rupture, que nous
voyons déjà à l'œoeuvre dans notre société.7 La socialisation ne
peut pas, à notre avis, se faire à partir de tendances, ou alors a
minima et de manière précaire. Une socialisation
comme produit de tendances partielles risque de conduire le sujet à un
comportement de victime, comportement que, là aussi, nous voyons à
l'œoeuvre dans notre société.
Malaise dans la civilisation
Nous pourrions alors renverser le problème : au lieu de se demander ce que
produirait sur la société l'« homoparentalité », se demander ce qui, dans
la société, amène cette revendication. Il y a bien un lien entre le type
de filiation et le type de société, puisque, par exemple, seules les
sociétés patrilinéaires8 semblent avoir
éprouvé le besoin d'inventer l'écriture9. Une
société ne peut plus fonctionner de manière harmonieuse
quand elle ne parvient plus à signifier la différence des sexes, le mode
relationnel qui la structure, et que, de plus, elle nie la coherence
fondamentale qui existe entre le corps, le sexe et la loi.
Mise en question de la société ou reflet de sa désorganisation ? La
question ne serait plus le pourquoi du désir d'enfant chez les
homosexuels, mais le « que ce passe-t-il dans notre société pour que l'on
en soit au point où le désir d'enfant passe par l'« homoparentalité »...
» Un élément de reponse pourrait se trouver dans cette « prime à la
pulsion partielle », dans le perpétuel conflit qui se vit collectivement
(et pas
forcement individuellement) entre tendances et identité et qui amèneraient
à s'en prendre tant a soi qu'aux autres, exigeant de la société qu'elle
donne l'objet introuvable, qu'elle comble le manque par le biais d'un
enfant.
L'« homoparentalité », menant et légalisant la confusion des sexes, nous
paraît donc pour le moins entraîner à la dépression, pour ne pas dire
mortifère. Et la filiation n'a rien d'une convention sociale, puisqu'elle
est la conséquence de la manière dont se transmet la vie. Conséquence,
mais aussi représentation et symbolisation de cette transmission. Y
toucher serait jouer, une fois encore, aux apprentis sorciers.
1 Arrêt sur l'affaire Philippe Frette (26/02/2002) qui
a déposé plainte contre le gouvernement francais, pour « discrimination
fondee sur l'orientation sexuelle ».
2 À la question du Nouvel Observateur : « Êtes-vous
pour ou contre la reconnaissance juridique de la famille « homoparentale »,
seuls 71 députés (sur 577), et 29 sénateurs (sur 321) ont répondu...
3 Le livret de famille comme l'extrait de naissance ne
mentionne pas une adoption.
4 Loi française du 29 juillet 1994.
5 Cf. notre article La violence des jeunes,
in choisir, no 195, novembre 2001, pp. 22-25.
6 Tony Anatrella, in Le journal des
psychologues, no 195, mars 2002.
7 La violence, par exemple, est une conduite de
rupture.
8 Dont la filiation est fondée sur l'ascendance
paternelle (n.d.l.r.).
9 Évelyne Sullerot, Quels pères, quels fils,
Fayard, Paris 1992.