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Aperçus de la pensée du frère Roger

Vivre l'aujourd'hui de Dieu (1959)

Le livre a deux axes, ceux-mêmes de la communauté de Taizé : vivre au cœœur du monde, vivre auc &oeligcœur de l’Église pour travailler à son unité. Attention à l’authenticité de la prière, garantie par des actes et l’ouverture au monde. Attentif aux priorités, il restitue le sens de l'’ascèse comme moyen de répondre à la grâce, l’obéissance à une règle, en tant qu’unie à notre ferveur tout autant que moyen de suppléer à nos oscillations, comme expression de l’amour pour le Christ. La pierre de touche de toute vie intérieure est pour lui l’amour actif du prochain. S’enraciner dans les situations concrètes, pour assurer la véritable catholicité de l’Église. Comprenant celle-ci comme Corps mystique du Christ, le frère Roger ne peut que réfuter les conceptions au rabais de l’œcuménisme, tels que le fédéralisme, le pragmatisme, le confusionnisme. Par son attitude critique vis-à-vis de sa propre tradition réformée, son accueil des richesses du catholicisme : l’eucharistie vraie présence du Christ et nourriture spirituelle, la communion des saints, le frère Roger nous donne l’exemple d’un œcuménisme vécu.

La communauté de Taizé se veut à la fois insérée dans le monde et au cœur de l'Église, avec une pleine conscience du drame de la division des chrétiens. La prière peut devenir un refuge si elle ne suscite des actes. Il s'agit soit de réaliser le sens de l'universel, vocation première de l'évangile, soit de se replier sur soi-même, faisant ainsi obstacle au rayonnement de la grâce, source de salut pour tous les hommes. La première démarche en vue de la communion est la distribution équitable des biens. Son but est d’être capables de communiquer notre foi, de façon antinomique avec la constitution de chrétientés établies, de ghettos croyants, repliés sur le confort d’être ensemble, tournés vers le passé et se coupant de certaines catégories d’hommes. Il s’agit de se faire violence pour aller vers le prochain, partout dans le monde, de dépassionnaliser pour dépasser l’unilatéral.

Le frère Roger aperçoit les dominantes suivantes du monde moderne :

Les valeurs dominantes de la vie intérieure

Le frère Roger rappelle d’abord que « les disciplines spirituelles sont méthodes relatives ». Une attention à tout l’être est nécessaire, le désordre du corps entraîne celui de l’âme, et vice-versa. L’Esprit veut s’assujettir toutes les puissances de l’homme, e't l’ascèse n’est pas une morale d’abstentions, mais un moyen pour répondre à la grâce. «  Au lieu d’aller au-delà des exigences de Dieu, mieux vaut accomplir dans la simplicité de cœur ce qui est demandé dans l’aujourd’hui. » Ne nous affligeons pas tant de notre péché, et émerveillons-nous continuellement du pardon de Dieu. Le combat intérieur ne doit pas être mû par un désir de perfection formelle, mais promu par l’amour du Christ et du prochain. On prie à des heures régulières par amour pour le Seigneur, non en vertu d’une loi. Mais le remède à l’accoutumance et au formalisme est précisément la recherche, dans la fidélité à la résolution prise, de la ferveur. L’efficacité viendra de l’union de la ferme régularité et de l’animation d’esprit, d’un esprit de règle et de méthode et d’une chaleur d’âme. Il est souhaitable de se rappeler quelques mots brefs très régulièrement, des résumés succints et limpides de paroles d’évangile qui nous parlent personnellement. Résumés forgés au cours d’une longue maturation, et qui pourront alors être obéis, et conduiront vers la direction choisie toute la vie durant. Acceptons aussi de compter avec le temps, l’être intérieur est souvent façonné à notre insu. La vie chrétienne est un perpétuel recommencement, « un retour en grâce de tous les jours »; quand le combat semble impossible à vivre, il reste à s’abandonner au Christ; quand la flamme semble s’éteindre, à attendre en silence. La prière, la méditation, la communion au Corps et au Sang du Christ, renouvelle notre relation personnelle avec Dieu, conduit à saisir Sa présence dans la contemplation. Sachons relâcher notre exigence de rationalisation, sous peine de faire perdre au sel sa saveur, pour s’abandonner à l’attitude d’adoration, de contemplation, qui nous saisit entièrement, sans vouloir toujours comprendre. Et cela, comme le montre l’exemple de sainte Thérèse d’Avila, ne peut qu’être profitable à l’action vraie. « L’amour que nous portons à au trui demeure la marque de la vérité de notre contemplation », de l'’affection de notre être total pour le Christ, qui, se elle est authentique, ne peut que s’extérioriser. Si le sens du pardon s’assoupit, la vie parmi les hommes peut devenir intolérable. Au contraire les difficultés mêmes du coude-à-coude avec le prochain peuvent activer notre marche.

Heureux les simples, qui sont conscients du trésor que Dieu met en nous, à travers quelques vérités essentielles. Le chemin peut commencer par une impression de sécheresse, un appel à se dépouiller des éléments extérieurs pour se centrer sur l’unique nécessaire. Si la prière est dialogue, amenant les situations dans notre intelligence pour les présenter à Dieu, si la méditation est recherche parfois laborieuse, la contemplation est adoration, fixation sur une seule vérité à laquelle nous adhérons totalement, alors elle enracine dans l’action audacieuse, sans tiédeur possible.

Vivre dans le monde

Opérons une révision paisible et continue de nos moyens de travail et d'’existence : meubles, livres, papiers et vêtements peuvent constituer peu à peu une chape de plomb nous paralysant, sans que nous ne nous en rendions compte. Reconnaissons notre incapacité de comprendre en totalité l’enseignement des écritures, et mettons plutôt en pratique le peu de choses que nous avons vraiment assimilé, afin de s’y construire une unité intérieure. Aimons l'’homme là où il est, tel qu’il est, comprenons de l’intérieur, sans le juger - le monde exige de nous cette authenticité. Refusons toute collusion entre spirituel et temporel, sans chercher une spiritualité de l'’échec et de la faiblesse (« laissons aux saints cet extrémisme de la foi »), mais en se rappelant qu’étant faibles nous demeurons forts en Dieu. Reconnaissons les échardes de notre chair, mais n’oublions pas que nous sommes « des victorieux du Christ pour vivre de la joie du Royaume. »

Vivre dans l'’Église : Être un pour que les hommes puissent croire.

Les pertes d’énergie dues aux divisions, aux auto-justifications, sont de moins en moins supportées par les générations. Cela mène à un intégrisme, à une suffisance incompatibles avec l’élan premier de la foi. L’unité est indissolublement liée à la mission, il faut que le monde puisse croire que nous sommes fils d’un même Père. S’ouvrir au sens élémentaire de la catholicité signifie d’abord aimer au-delà des frontières confessionnelles : l’agnostique lui-même aime ceux qui l’aiment. L’unité sans doute existe spirituellement, mais on ne peut demander aux incroyants de voir avec les yeux de la foi !  « Seule notre communion visible est capable de prouver au monde que nous sommes fils du même Père, fidèles au même Christ. » Sur la voie de l’obéissance à la dernière volonté du Christ, plusieurs obstacles se présentent. Le confusionnisme. Il ne faut pas croire qu’il suffise de confesser le nom de Jésus pour réaliser l’unité, et réduire les divisions à des questions de psychologie, d’histoire, de vocabulaire. Le véritable œcuménisme ne se nourrit pas de facilité mais de lucidité courageuse. Attention cependant à ne pas taxer toute recherche d’accord de confusionnisme.
Le pragmatisme. Il attribue les divergences aux diaboliques théologiens, et se rabat sur unité toute pratique, accomplie par les œuvres sociales et philanthropiques. «  Il est vrai cependant qu’une collaboration dans la charité peut être un magnifique moyen de se préparer à une communion totale dans la foi. »
Le fédéralisme. « Il faut écarter également la pensée d’une fédération d’Églises. Cette forme fédéraliste qui, dans l’ordre des sociétés humaines, peut être une solution très heureuse, n’a pas d’analogie avec la communion profonde du Corps mystique de Jésus-Christ. »
L’eschatologisme. Si l’unité sera réalisée quand Dieu le voudra, on ne peut s’abriter dans la certitude du rassemblement eschatologique sous un seul chef pour refuser l’exigence de l’œcuménisme, « mouvement suscité par l’Esprit Saint, afin de réunir tous les chrétiens de façon visible dans notre monde. »
Le réunionisme. « Il y a des mûrissements qu’il faut savoir attendre. » Ne pas forcer des réunions qui ne seraient pas la communion organiquement mûrie, et qui ne suivent guère la patience de Dieu.
Le sectarisme et l’intégrisme, se plaçant sur un terrain de combat, sont incompatibles avec l’œcuménisme.

Au contraire, c’est bien le dialogue qui doit guider la recherche de l’unité. Dialoguer : ne pas s’écouter soi-même, mais « savoir écouter afin de comprendre et saisir par l’intérieur la pensée et les positions de l’interlocuteur », ne pas poursuivre sa propre pensée, selon nos schémas et catégories, mais répondre à l’autre, dans son système, pour l’ouvrir. Renoncer à la polémique, se rencontrer et se pénétrer réciproquement, se familiariser l’un à l’autre, en s’aimant à la vérité, loin des images de l’autre reçues par l’histoire. « Partir sur la route de l’œcuménisme avec l’intention préméditée d’amener l’autre à soi, c’est trahir d’emblé l’esprit œcuménique. La pureté d’intentions permet un échange irénique, précurseur des grandes initiatives dans l’Église de Jésus-Christ. Dans une pleine confiance réciproque, nous acceptons l’échange loyal qui approfondit notre compréhension mutuelle. »

Le travail œcuménique serait desséchant et vain sans la prière pour l’unité, qui ravive l’espérance et l’amour, dans laquelle nous nous humilions des fautes et obstacles que nous dressons sur la route, et intercédons pour que tous deviennent instruments de communion. D’autant que Dieu est à l’œuvre dans des voies qui ne sont pas les nôtres, et que nous ignorons. La foi de l’autre, qui complète la sienne, compose « l’harmonie dans le grand chœur de la communion des saints ».

Vivre la tension de l’Église et du mnded

Frère Roger rappelle les deux pôles de sa communauté : la recherche de l'unité des chrétiens et la volonté''d’être présents aux points névralgiques de la vie des hommes. Il est évangéliquement intolérable de demeurer dans l'’hostilité à certains chrétiens. La fuite serait de quitter nos vieilles Églises pour rejoindre le monde sécularisé, où bien souvent nous voyons davantage l'’absence 'd’esprit de jugement, la bienveillance et le sens de l'’humain. Il est un danger de lancer trop vite dans le monde ouvrier et syndicaliste de jeunes frères. Le but est « une spiritualité de sportif », au sens de saint Paul, dans le souci d’incarner l’humain dans toute notre existence de chrétien. « S’il y avait une spiritualité de Taizé, elle ne serait rien d’autre que la volonté de « courir » selon le conseil paulinien. » Et les forces nécessaires sont puisées dans la prière des siècles, répétée quotidiennement.

Célibat

La chasteté et la plénitude de vie qui se vivent dans le célibat ne peuvent se comprendre qu’à la lumière de l’évangile, et de l’évangile vécu : « seul peut comprendre celui qui à qui cela a été donné. » Au moment de la venue du Christ, le mariage est une obligation naturelle, et la monogamie est bien souvent, vu la facilité du divorce, une polygamie par monogamies successives. « Le mariage réellement monogame, d’où le divorce est exclu, n’est pas plus naturel au cœur de l’homme que le célibat. […] Mariage et célibat sont tous deux des absolus chrétiens. » « La Réforme soucieuse de fondements scripturaires est pourtant bien souvent revenue, concernant le célibat, à une position de l’Ancien Testament. » Il s’agit d’« obéissance à un ordre évangélique qui n’est pas celui de la nature ». Acceptés par amour pour le Christ et le prochain, jamais ils n’opéreront de rétrécissement. Les célibataires peuvent développer, par l’introversion de leur sensibilité, une susceptibilité à fleur de peau, et un foyer peut-être voué à la mort égoïste si tout y est fonction du bonheur naturel, si les parents n’aiment leurs enfants que pour leur propre satisfaction. La chasteté du célibat elle pousse l’homme à « devenir l’homme d’un seul amour ». Il n’est là que pour se donner davantage au prochain par l’amour même du Christ, en vivant une limpidité radicale. Il transmue notre amour naturel. N’oublions pas que, si nous nous engageons avec le Christ, Lui s’engage avec nous, et « ce qui est trouble et inavoué est entraîné, malgré soi, par la contemplation du Christ vivant dans les évangiles, du Christ de gloire dans la prière de l’Église. »

Communauté de biens

Ne canonisons pas la pauvreté ! Le pauvre est pour le Christ l’humble de son peuple ou « celui qui n’utilise pas ce qu’il a en vue de posséder l’âme du prochain ». La terre, nous l’avons en partage, et elle appartient au Seigneur. Les biens amassés ne nous serviront de rien quand notre âme nous sera redemandée. La communauté de biens concerne aussi les biens spirituels, les peines et les joies. « La transparence d’homme à homme ne signifie pas épanchement sur soi-même, mais limpidité de toute la personne. » « Il serait faux de confondre alors l’ouverture à un frère avec la confession; celle-ci se fait au Seigneur du ciel et de la terre, en présence d’un homme qui en a reçu ministère. »

Acceptation d'’une autorité

La charge du prieur correspond à une nécessité pratique de communion. L’idéal serait des décisions prises à l’unanimité, mais l’idéalisme n’est pas une notion évangélique. Une méthode démocratique dans l’Église, où la volonté du Seigneur devrait s’exprimer par cinquante et un pour cent des voix, donnerait lieu à la brigue et à la démagogie. Les décisions prises par le prieur entraînera tous les chrétiens dans un chemin pratique de service; lors des débats il faut d’abord faire silence en soi, éviter les catégoriques « il faut », expliquer simplement ce que nous pensons être conforme au plan de Dieu. Pas de faux spiritualisme : on ne peut parler d’unité spirituelle si celle-ci n’éclate pas aux yeux. Pour le prieur cela suppose le dépouillement de soi, pour chercher avec ceux qui lui sont confiées la Volonté souveraine. Pas de jugement objectif sans oubli de soi, pour être fidèle à son rôle de rappel de la volonté du Christ, sans succomber à cette ambition secrète de dominer les âmes.

Laisser le Christ allumer en nous le feu de son amour

La charité vivante du Christ vient alimenter la flamme et renouveler l'’amitié pour le prochain mon frère. « S’il ne peut être question de faire bon marché de la vérité, il faut cependant affirmer qu’il n’y a pas de vérité sans la charité », refuser le conformisme de l’homme naturel consistant à se poser comme juge. La communion visible n’est pas une quelconque aspiration humaine, mais une exigence de la foi; il ne s’agit pas d’une nostalgie sentimentale de l’unité mais d’une force virile pour faire tomber en soi les oppositions utilisant nos forces vives. « Aimer l’Église comme le Christ l’a aimée, accepter qu’elle ne puisse avancer qu’au travers d’ornières profondes creusées par le péché de ses enfants, par leur esprit de division et de suffisance. L’aimer malgré la médiocrité de certains de ceux qui ont de lourdes responsabilités en son sein. Aimer l’Église dans ses membres, dans les meilleurs de ses fils mais aussi dans les plus compromis. Ainsi chemine l’Église du Christ à travers les âges. Elle est vivante dans la mesure où elle est animée par la charité de ses fidèles. Elle est forte quand ses membres s’arment, jour après jour, de l’infinie patience de la foi. Elle est humble lorsque les siens, loin de la juger avec l’amertume de la suffisance, consentent à l’aimer jusqu’à donner leur vie pour tenter aujourd’hui et encore de la renouveler. » Toute autre voie conduit à l’esprit de suffisance et de schisme, au lieu d’aimer ceux qui s’opposent on les écrase sous le poids de la mauvaise conscience. Prenons l’exemple de saint François d’Assise, qui s’est abstenu de juger les coutumes et l’endurcissement des chrétiens de son temps, et qui a agi et prié. Par la diversité des dons, chaque chrétien, par sa vie offerte, doit être ferment de communion dans l’Église. Nous serons jugés sur la charité.


Citations extraites de "Vivre l'aujourd'hui de Dieu"





Ad majorem Dei gloriam