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Aperçus de la pensée du frère Roger

Étonnement d'un amour - Journal 1974-1976, paru en 1977

Le frère Roger ici développe sa conception du ministère de l'évêque de Rome comme un pastorat universel, au service de l'œcuménisme, et réaffirme ce qui s'esquissait dans Unanimité dans le pluralisme, à savoir que l'eucharistie catholique est la source principale d'unanimité profonde. Sa spiritualité de l'eucharistie et du sacrement de réconciliation s'affirme, ainsi que son attention aux choses humaines en restant centré sur la contemplation de l'Unique essentiel.

Pourquoi ces oppositions, ces jugements sans appel, entre les chrétiens eux-mêmes ? Un chemin pour se comprendre existe-t-il ? Revenir toujours à cette résolution un jour prise : « chercher à tout comprendre plutôt qu''à être compris. » Le concile des jeunes est le franchissement d'une muraille, malgré les quarante mille jeunes le moment de sommeil habituel est paisible. Les groupes spécifiques existant partout ont été supprimés, pour éviter la formation d''un mouvement, voire d'une Église supplémentaire - les communautés provisoires doivent tendre à être d'Église, doivent se référer au peuple de Dieu, avoir une identité locale. Créer une nouvelle Église « aurait été entrer dans un vieux processus qui a déchiré le corps du Christ dans l'histoire ». Découvrir les trésors de confiance en Dieu contenus dans l'Islam. Les jeunes venant de pays martyrisés, le Viet-nâm, le Congo, repartent vers la tyrannie, les mises à mort - prions pour ces pays bien-aimés. Le cardinal König « laisse pressentir en transparence l'ouverture à tous, c''est un homme du devenir de l'Église. » Si les institutions peuvent aliéner, le combat ou la croisade contre elles le peuvent aussi, il ne nous faut pas abolir mais accomplir, comme le Christ l'a fait sur terre. Le frère Roger se rappelle de ce jeune prêtre catholique, prisonnier allemand, frappé à mort par des femmes désespérées par la mort de leurs maris en camp de concentration, qui n'avait à ses dernières heures que paix et pardon en lui, et reflétait la sainteté de Dieu.

Toi qui aspires à suivre le Christ

« Toi qui aspires à suivre le Ressuscité, à quel signe reconnaître que tu l'as rencontré? Plutôt que de chercher à sentir sa présence, sauras-tu discerner Dieu dans des événements tout simples de l'existence et mettre dans la pratique quotidienne les suggestions qu'il dépose en toi ? À quel signe reconnaître que tu as rencontré le Christ ? Quand, irrésistiblement, tu es poussé à tout quitter, à te quitter toi-même sans savoir où tu vas. Tu l'as rencontré quand tu as beau te boucher les oreilles mais que résonne en toi sa parole : « Toi, viens et suis-moi. »  Déjà bien avant le Christ, un croyant de l'Ancien Testament écrivait : «  Toi qui aspires à servir le Seigneur, prépare ton âme à l'épreuve des luttes, fais-toi un cœur limpide et sois résolu. » (Si 2 1) Choisir le Christ, c'est le tout ou le rien, il n'y a pas de juste milieu. Iras-tu jusqu'à porter dans ton corps la marque de Jésus et la brûlure de son amour ? Elles se reconnaissent en toi quand tu peux lui dire : « Tu m'as aimé le premier, tu es ma joie, mon amour essentiel, que cela me suffise. »

Si tu veux le suivre jusqu'à l'extrême, quoi qu'il t'en coûte, prépare-toi, dans une vie pauvre, à connaître des luttes : ces fidélités de chaque jour qui, à travers de petits faits, te relient à une réalité immense. Et se construiront en toi une humanité pétrie de compréhension pour tous, un cœur vaste comme le monde.  À quel signe encore reconnaître que tu as rencontré le Ressuscité ? Quand les luttes que tu livres en toi-même pour le suivre, quand les épreuves et jusqu'au fleuve de larmes intérieures qui parfois coulent en toi, quand tout ce combat ne te durcit pas mais se transfigure pour devenir un lieu de source. Une telle transfiguration, c'est le commencement de la résurrection, déjà sur la terre. C'est un retournement qui s'accomplit au-dedans, c'est la pâque avec Jésus, un continuel passage de la mort à la vie. Dans ce retournement, tout ce qui pourrait ravager l'être, la solitude humaine, la perte du sens de l'existence, l'impression d'inutilité, tout ce qui autrement aurait cassé les fibres de l'âme, tout cela ne vient plus bloquer le passage mais ouvrir une trouée de l'angoisse vers la confiance, de la résignation vers l'enthousiasme créateur. Toi qui aspires à suivre le Seigneur, ne crains pas d'entrer dans une pâque avec le Christ. Si tu ne te bouches pas les oreilles quand tu l'entends te dire « viens et suis-moi », tu te surprendras à lui répondre : « Je t'ai reconnu; aussi je voudrais me tenir près de toi qui écoutes les balbutiements de la simple prière, toi le Christ de gloire ressuscité au-dedans de qui te cherche. Je voudrais aussi pouvoir t'accompagner jusque dans ton agonie pour l'humanité, toi qui es proche de qui est dans la peine, de qui lutte pour beaucoup d'autres. Pour te donner ma confiance, pour me faire un cœur résolu, j'irai jusqu'à rassembler toutes mes énergies, j'irai jusqu'à accrocher même violemment mon cœur au cœur de Dieu, car je l'ai compris : seuls les violents s'emparent des réalités du Royaume des cieux. » Être suspendu à Sa confiance, c'est l'amour à l'état pur, non pas un amour illusoire qui se satisfait de mots, mais la confiance d'un amour qui ressaisit l'être à tout moment, un amour fort comme la mort.

Le risque de la vie

« toi qui aspires à suivre le Christ, tu le rencontres seulement en lui donnant ta confiance, et non pas autrement. Mais comment lui faire confiance et le suivre dans un engagement de toute la vie, alors que tu as tellement peur de te tromper ou, plus tard, de t'être trompé ? Pour te préparer à un tel oui, et ensuite pour le vivre, tu as besoin de quelqu'un à qui parler de toi-même. Non pas n'importe qui. Sinon tu chercherais celui qui va dans le sens de tes facilités et ces chemins-là ne feront jamais de toi un créateur. Tu peux parler du fond de toi-même seulement à quelqu'un qui a un esprit de discernement exercé, qui sait lire sous les contradictions de l'être humain.  Celui qui exerce ce ministère de discernement n'a aucune méthode, aucune théorie. Sa réponse n'est pas identique pour tous, elle dépend du don essentiel de chacun. À l'un il devra dire: « Quitte tout, et tout de suite, sinon tu fuirais Dieu. » À un autre, qui cherche tout autant à suivre le Christ, il dira plutôt : « Pour engager toute ta vie en Dieu, acquiers des compétences dans un métier, en vue d'un service des hommes. Interrompre dans l''immédiat ta formation professionnelle serait une fuite vers la facilité. »

À tous, en tout cas, il exprimera une certitude : « Tu ne connaîtras Dieu qu'en prenant le risque d'en vivre, dans une existence exposée, non pas protégée, repliée. Et cela non pas pour une période mais pour toute la vie. Ose encore et toujours prendre et reprendre ce risque. »   La crainte de se tromper est présente dans la jeunesse mais elle peut aussi revenir beaucoup plus tard. Tel ou tel se met à flamboyer au milieu de la vie, pensant qu'il a enfin découvert l'amour unique. Il met en évidence des erreurs qui ont entouré sa décision de jeunesse, il oublie qu'il n'existe pas d'acte absolument pur sur la terre, sinon nous serions déjà des anges. Quand le oui au Christ a été confirmé par celui qui a su t'écouter, alors va de l'avant. Si tu restes dans les marécages des hésitations ou des regrets, tu perds ton temps, ce temps qui ne t'appartient plus mais qui est déjà celui de Dieu. Et la part d''erreur ou d'ambiguïté qui entoure toute décision sera brûlée par le feu de l'Esprit de Dieu. Toi qui aspires à vivre dangereusement à cause du Christ, chaque jour tu te demanderas ce que signifie sa parole : « Qui veut sauver sa vie la perdra. » Et un jour tu comprendras le sens de cet absolu. Comment parvenir à le comprendre ? Cherche, cherche et tu trouveras.

Pour toi, le Christ, accepter de tout perdre afin de te saisir - toi qui déjà nous as saisis - c'est nous abandonner au Dieu vivant et prier avec toi : « Père, non pas ce que je veux,mais ce que tu veux. » Tout perdre pour vivre de toi, le Christ, c'est oser un choix : Se quitter soi-même pour ne plus suivre deux routes à la fois. …dire non à ce qui retient notre marche à ta suite, et oui à ce qui entraîne vers toi et, par toi, à ceux que tu nous confies. Pour qui choisit l'absolu de ton appel, pas de juste milieu. Te suivre, être femmes et hommes de communion, c'est approcher invisiblement du martyre, porter en son corps l'agonie de Jésus, pour devenir signe du rayonnement de Dieu.

Non pas faire une analyse destructrice mais exprimer l'exigence portée à ceux que l'on aime. Même dans cet automne des plus pluvieux, il est possible de trouver une intériorité. « Pour alimenter le feu se trouvent sous l'auvent de fines branches qu'on appelle dans la région «  charbonnettes ». Sans elles, la flamme ne repartirait pas et la bûche se consumerait sans réchauffer. » Une des paroles de Vatican II qui demeure en frère Roger : « L'homme est sacré par l'innocence blessé de son enfance. » Le secret du bonheur, même dans un travail acharné : la certitude d'une présence. La jeunesse chrétienne bien souvent éclate en de multiples groupes et tendances incapables de se relier. Frère Roger porte dans ses bagages l'anneau épiscopal de Mgr Larrain, qui lui a envoyé en signe de sa fidélité dans la vocation œcuménique. Dans cette année sainte, sachons vivre, dans la réconciliation, la communion retrouvée, un printemps nouveau qui nous arrache à nos condamnations réciproques, que nous créions la paix parmi les hommes, tous les hommes. L'Église du Chili devient une maison où chacun est écouté, où les non-croyants deviennent frères des croyants. Un prêtre, Cristian Precht, anime le comité de la paix, qui visite les personnes en difficulté, secoure les prisonniers, nourrit les enfants sous-alimentés. Mme Luis Corvalan apprend que c'est Taizé qui a sollicité et obtenu l'intervention urgente du pape Paul VI pour qu'il obtienne du Chili que son mari ne soit pas mis à mort. Ainsi, être caché aux côtés de l'homme opprimé, sel sans efficacité apparente, mais lumière du monde, porteurs d'une parole qui éclaire, d'une action qui libère. Toute communion est forte, tissant un fragment de la robe du Christ, fragile aussi. Pour indiquer l'amour de l'Église, seul l'appel à la sainteté est une réponse. L'Autre est là, c'est plutôt nous qui sommes lointains. Cette parole qu'Alain se redit sans cesse : « Jésus ma joie, mon espérance et ma vie. » Il est des âmes d'inquisiteurs qui se repaissent des dépouilles des autres.

Fragiles comme des vases d'argile

« Une réalité nous dépasse : pourquoi Dieu nous a-t-il appelés, nous qui sommes fragiles comme des vases d'argile, pour transmettre une parcelle du mystère du Christ ? Et pourquoi les uns répondent-ils à cet appel et d'autres n'y répondent pas ?  « C'est dans des vases d'argile, écrivait déjà voici deux mille ans un témoin du Christ, que nous portons ce trésor; le Ressuscité, pour que son rayonnement soit de Dieu, non pas de nous. Pressés de toutes parts, nous ne sommes pas écrasé; terrassés, nous ne sommes pas achevés. Sans cesse nous portons dans notre corps l'agonie de Jésus, afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps. » (2 Co 4 7-10) Manifester et transmettre le Christ ! Être par notre vie des reflets du Ressuscité ! Et pourtant nous le connaissons si peu. S'il fallait nous appuyer sur notre petite foi ou sur nos qualités personnelles, où serait le rayonnement de Dieu ? Ce n'est pas pour rien que Dieu a choisi de rayonner à partir de nos humaines fragilités. Combien nous devient alors accessible une prière des chrétiens de la primitive Église qui, eux aussi, aimaient le Christ sans l'avoir vu et lui disaient : « Tu ne regardes pas nos propres péchés mais seulement la foi de ton Église. » Celui qui accepte de transmettre par sa vie une parcelle du mystère du Christ, celui qui lui fait confiance même dans les déserts de son existence, sait que son choix peut le conduire jusqu'à s'approcher invisiblement du martyre. Mais pour lui, quoi qu'il arrive, il n'y a jamais d'échecs irrémédiables : pressé de toutes parts, il n'est pas écrasé; terrassé, il n'est pas achevé.

Qui vit les conséquences de l'appel du Christ jusqu'à l'extrême voit son cœur s'universaliser : sans complaisance pour lui-même, il devient capable de tout écouter, de partager la peine et la détresse des humains. Loin de se durcir, loin de s'habituer à la souffrance, avec les années son cœur s'élargit à l'infini. Alors qu'il a tout pour n'en plus pouvoir, alors qu'il porte en lui-même cette agonie de Jésus qu'est la détresse des hommes à travers la terre, comment se fait-il qu'il n'est pas accablé, épuisé de fatigue ? Voici son secret : à tout moment, il remet tout au Christ, les épreuves des autres, les siennes propres, ce qui l'agresse. Sans une prière pour les ennemis eux-mêmes, une part de sa personne s'installerait dans la ténèbre. Dans cette continuelle remise à Dieu, tout est jeté en lui, jusqu'au corps fatigué. Et tout reprend vie au point que le Ressuscité se manifeste dans notre corps lui-même. Avec le corps nous le chantons. Tout en nous recommence à chanter jusqu'à la plénitude « Jubilate Deo, jubilate Deo. » »

« Toi le Christ, tu offres un trésor d'Évangile, tu déposes en nous un don unique, celui d'être porteurs de ta vie. Mais, pour qu'il soit évident que le rayonnement vient de toi et non pas de nous, tu as déposé ce don irremplaçable dans des vases d'argile, dans des cœurs de pauvres, tu viens prendre la place dans la fragilité de nos êtres, là et non pas ailleurs. Alors, sans que nous sachions comment, tu fais de nous, si démunis et si vulnérables, le rayonnement de ta présence parmi les humains. »

Les jeunes venus pour la semaine sainte pataugent dans la boue; dans l'église la nuit certains s'endorment en priant. Prière pour la condamnation à mort pour motifs politiques de l'abbé Alphonse Quenum, au Dahomey. Le tentateur, que le Christ lui-même a connu, nous souffle : « laisse tomber la persévérance. » Qui persévère dans le don de toute sa vie découvre à chaque tournant le jaillissement de la vie du Ressuscité. Dans le marasme spirituel de cette vieille Europe qui s'enfonce dans un océan de scepticisme et d'indifférence, quelle parabole suggérer pour que les hommes vivent de Dieu ? Des exilés survivent grâce à la prière répétitive, celle du Rosaire. Ce vietnâmien de Hué, mort maintenant, qui priait dans l'église : « Seigneur, j'ai peur de ma peur. » À une petite nièce :  « Tu le sais, tu es très aimée par les tiens et ton oncle Roger est de ceux-là. Tu es aimée, avec chacun des tiens, par Dieu, par le Christ Jésus, pour toujours. Maintenant que tu le reçois dans l'eucharistie, il t'offre avec certitude une source d'eau vive. » Dans les petits riens, la fraîcheur des courtes ondées, les sauts de joie et les attentes reçues, s'inscrit comme un filigrane un amour de la vie, une source sans laquelle tout serait insipide. « Si nous voyions ces mois à venir comme les poèmes d'une rencontre ? » Visite des polonais, du cardinal Wojtyla. « Le peuple polonais a une vocation unique. Pendant mille ans d'histoire, il a accumulé un trésor de générosité et de persévérance. La constance de sa foi soutient l'espérance de beaucoup de chrétiens à travers le monde. » Être saisi par Dieu, travaillé par lui, à l'intérieur de soi-même changé. Ainsi seulement nous Le connaissons. Par la nature notre nécessité permanente d'admirer est comblée. « Le puritanisme latent souhaiterait à tout moment tuer la vie, il rougit de la spontanéité, il voudrait le meurtre de l'âme et déguise en exigences positives ce qui n'est que violence destructrice. » Accueillir sans chercher à capter quiconque. Lassé et malmené par beaucoup, le Christ n'est cependant jamais lassé de nous accompagner.

Celui qui nous accompagne

« Le soir de sa résurrection, Jésus accompagnait deux de ses disciples qui allaient au village d'Emmaüs. Mais sur le moment ils ne sont pas rendu compte que c'était lui.
Il y a des périodes de nos existences où nous non plus ne parvenons pas à prendre conscience qu'il chemine à nos côtés. Pourtant, connu ou non, pressenti ou refusé, il est là, même quand plus rien ne le laisse espérer. Il prie au-dedans de nous dans le silence du cœur, en une prière implicite. À d'autres moments, nous comprenons qu'il nous accompagne et nous souhaitons lui parler. C'est la prière explicite. Nous lui demandons : « Montre-nous le chemin. » Et il répond : « Je suis là. » Nous lui disons encore : « écoute, écoute ma prière d'enfant. » Et la prière demeure simple, toute la vie, comme celle de l'enfance.
Pourquoi obliger les lèvres à formuler la prière, dans les temps où l'être s'y refuse ? Si l'esprit et le cœur ne peuvent momentanément rien exprimer, la prière du corps prend le relais pour indiquer une intention ou encore s'abandonner au silence de Dieu. L'évangile de Luc se termine par l'image des disciples prostrés à terre, priant la tête sur le sol. Il est tout un langage que nous pouvons tenir à Dieu par le geste, par l'intention, par ce qui émane de nous-mêmes. Peut-être n'est-ce pas encore la prière, mais c'est déjà une existence qui s'unifie. Semer le grain de blé dans son champ, partir le matin au travail, soigner des malades, écouter un autre, écrire, se préparer par des études à acquérir des compétences, tout cela peut devenir un langage à Dieu.
Et reviendront des jours où notre passion de Dieu se manifestera dans une surabondance du cœur, dans une inépuisable fantaisie, dans un chant repris à l'infini.
Peu à peu se rejoignent aussi les moments d'ardente recherche de Dieu et une forte activité quotidienne. La prière et la vie se relient jusqu'à ne faire plus qu'un.
Implicite ou explicite la prière donne de reposer en paix les profondeurs de nous-mêmes.
Savoir où reposer notre cœur, c'est ne plus nous lamenter sur notre indignité, sur une possible tyrannie du moi, c'est ne plus descendre aux bas-fonds de nous-mêmes en une constante analyse.
Savoir où reposer notre cœur, c'est saisir une réalité cachée à nos propres yeux : le Christ nous accompagne. Dès lors le cœur accablé se remet à vivre. Il se remet à chanter, même parfois sans voix : le souffle de ton amour m'a visité, je ne piétine pas sur place, je t'accompagne. »

« Comme tes disciples sur le chemin d'Emmaüs, si souvent nous ne parvenons pas à découvrir que c'est toi, le Christ, qui nous accompagnes. Mais quand nos yeux s'ouvrent, nous comprenons que tu nous parlais quand bien même nous t'avions oublié. Alors le signe de notre confiance en toi est que, nous aussi, nous cherchons à aimer, à pardonner avec toi. Indépendamment de nos doutes, ou même de notre foi, toi, le Christ, tu es là toujours : ton amour brûle au cœur de notre cœur. »

« Sainte Thérèse d'Avila et saint Jean de la Croix sont un jour réunis pour un repas. On apporte du raisin. Jean de la Croix déclare : « Je n'en mangerai pas, car trop de gens en manquent. » Thérèse répond : «  J'en mangerai au contraire, afin de louer Dieu pour ce raisin. » Leur dialogue est à l'image d'une des tensions de l'Église contemporaine. » « Découvrir chez les plus déshumanisés des fragments d'humanité, chez les plus hostiles des éclairs de générosité. » Ce que les parents ont transmis, le meilleur d'eux-mêmes, ressurgira par osmose au moment où les enfants auront à prendre des responsabilités vitales. Il est bon que violence et jalousie ne soit pas extériorisé en disputes, mais soit réservé à un homme qui a reçu le ministère d'annoncer le pardon de Dieu. D'aucuns utilisent leur autorité pour se faire valoir eux-mêmes, voire pour compenser une frustration. Frère Roger souhaite pour ses frères la liberté, non une autonomie individualiste mais la liberté de la communion, celle qui n'attente pas à la liberté de l'autre. Mauvaise nouvelle du chili : le gouvernement a dissous le comité pour la paix, qui a tant fait pour donner espoir aux désespérés et aide aux démunis. Au cardinal Silva, archevêque de Santiago : « Avec tant d'autres au Chili, vous êtes un vivant témoin du Ressuscité en agonie jusqu'à la fin du monde. » « Dans les temps qui précédèrent ma vingtième année, la crainte de manquer d'honnêteté intellectuelle était vive. Je refusais d'affirmer ce que je pressentais de la foi. Mais je cherchais. Et un jour je tombai sur cette parole du psaume : « Mon cœur dit de ta part : « cherche ma face. » Je cherche ta face, ô Dieu. » D'un seul coup je compris que je pouvais me mettre à genoux, appuyé sur le lit, et prononcer cette même prière : tout en moi le dit, cherche sa face, je cherche ton visage. » À Paul VI : « Afin de sortir d'une des impasses de l'œcuménisme, il s'est imposé à nous depuis des années, malgré les séparations séculaires, de vivre dans une communion d'amour et de confiance avec le pape, évêque de Rome. Concernant le ministère de l'évêque de Rome, il m'a été donné, au cours de ces années, de résumer comme suit les attentes de beaucoup : Premièrement, il est attendu du pasteur universel qu'il soit attentif à la justice parmi les hommes et dans l'Église. Qu'il entraîne alors, par voie de conséquence, non seulement l'Église catholique mais aussi les Églises non catholiques à une grande simplicité de moyens et à ne pas s'appuyer, dans leur marche, sur des puissances économiques ou politiques. Secondement, ce qui est aussi attendu de l'évêque de Rome, c'est qu'il dispose tout pour que la réconciliation des chrétiens s'accomplisse sans demander aux non-catholiques de passer par un reniement de leurs familles d'origine. Même en vue d'une communion plus universelle, plus œcuménique, vraiment catholique, renier va contre l'amour. Même en vue d'un plus grand amour, des hommes ne peuvent pas, en conscience, blesser l'amour porté à ceux qui les ont fait naître à la foi. Parmi ceux qui leur ont transmis la foi, il y a bien souvent un père et à une mère. L'évêque de Rome ouvrirait-il alors l'eucharistie à tout baptisé qui croit en la présence réelle du corps et du sang du Christ, et qui cherche avec passion l'unanimité de la foi, sans pour autant lui demander de reniement ? (aujourd'hui j'écrirais : … sans pour autant lui demander d'être un symbole de reniement. » Comme le Saint Père l'a fait, demandons pardon si une faute peut nous être imputée dans les causes de la séparation entre baptisés. Reçoit le cadeau que le Pape lui a préparé, et celui-ci l'embrasse, ce qui est inhabituel au vicaire du Christ, lui qui n'est pas de nature spontanée.


« Tout te remettre avec un cœur d'enfant. S'abandonner à toi. Te confier ce qui contrarie le cœur ou les projets, prier pour l'opposant. Et puis aller jusqu'à crier parfois sa peine, quand les épreuves s'accumulent. » Et puis garder le silence en ta présence. Alors la louange devient l'essentiel que rien n'arrête. « Rares sont ceux qui ne s'inquiètent pas de la pauvreté de leur prière. Le Christ a beau nous assurer que, par notre inquiétude, nous n'ajoutons pas une seconde à notre vie, nous nous tourmentons de ne pas savoir prier. » Lettre d'un jeune chrétien libanais, tué alors qu'il allait fêter Noël dans son village (et qui l'avait pressentie) : « J'ai une seule demande à vous faire : pardonnez de tout votre cœur à ceux qui m'ont tué. Demandez avec moi que mon sang, même si c'est celui d'un pécheur, serve de rachat pour le péché du Liban. Mêlé à celui de toutes les victimes qui sont tombées, de tous les bords et de toutes les confessions religieuses, qu'il soit offert comme prix de la paix, de l'amour et de l'entente qui ont disparu de ce pays et même du monde entier. N'ayez pas peur. Ce qui me chagrine, c'est que vous allez être tristes. Priez, priez et aimez vos ennemis. » Nous sommes chaque jour face à des alternatives : médiocrité ou sainteté, stagnation ou fraîcheur d'Évangile, sécurités humaines ou tout quitter à cause du Christ. « Quitte à nous laisser meurtrir, parfois jusqu'à l'écartèlement de nous-mêmes, notre vocation est de nous tenir à l'intersection des courants et des conflits, dans cette unique communion qui s'appelle l'Église. »

Cette unique communion qui s'appelle l'Église
Tisser la robe du Christ


Au cours des quinze dernières années, de nouvelles déchirures entre chrétiens se sont ajoutées aux divisions anciennes de l'histoire. Beaucoup n'ont plus porté d'intérêt à une communion visible dans le peuple de Dieu, au point que l'exaltation des ruptures et des oppositions est parfois devenue un nouveau conformisme.
Le savons-nous assez ? Quand des divisions sont consommées, à un moment donné il est trop tard pour arrêter le processus de déchirement. Se libérer du soupçon en vue de réconcilier des êtres humains écartelés suppose une lutte pour recommencer encore et toujours dans la limpidité du cœur, loin des calculs, des arrangements et des combinaisons.
Bien sûr, une recherche de réconciliation ne passe jamais par des chemins de facilité. Si elle devait anesthésier l'homme, endormir ses énergies, le conduire à une étouffante résignation, ce serait le contraire de la réconciliation.
La vocation œcuménique avait précisément pour mission de réconcilier les chrétiens séparés. Mais après de fortes poussées en avant, c'est l'impasse. Les dialogues œcuméniques se sont poursuivis, entraînant les chrétiens sur des voies parallèles, sans plus.
Aujourd'hui,le courant qui exaltait les oppositions s'amenuise. Du même coup la vocation œcuménique pourrait sortir d'un chemin sans issue. Mais nous sommes encore au désert... Dans l'aridité du désert, Dieu parle, en tenant Son langage à Lui, non pas le nôtre.
Certains, parfois honnêtement préoccupés de sortir de cette impasse, sont résolument entrés dans des chemins qui les coupaient de l'ensemble du peuple de Dieu.
D'autres, dans le même but, ont lancé des ballons d'essai. Ils en connaissaient le risque : qu'ils éclatent en prenant de la hauteur. Mais leur souci premier était de se tenir au cœur du peuple de Dieu, pour le réanimer de l'intérieur.
Chercher à rendre visible une communion entre chrétiens suppose de se tenir au-dedans, de la même façon que l'être humain ne peut être changé que de l'intérieur, jamais par des semonces venant du dehors. Duretés et pressions ont toujours été les portes du chantage, une atteinte à la liberté humaine.
Recréer des liens de communion, c'est tisser des fils, parfois même un seul fil, mais déjà suffisant. Ce qui se tisse alors, que nous le sachions ou non, c'est la robe du Christ, Son Église. »


Cette communion de l'Église nous préoccupe parce qu'il n'y a pas de continuités du Christ dans l'histoire humaine sans des chrétiens insérés dans un peuple.  « Aimer le Christ pris isolément confine dans un intimisme. Aimer le Christ, aimer la communion dans son corps qui est l'Église, élargit à des espaces illimités. » Sa catholicité, son universalité dans les dimensions de profondeur dans un face à face contemplatif, de largeur dans la solidarité, de hauteur dans la créativité de la beauté simple de la prière commune. L'Église n'a pas son but en elle-même, sinon elle est vouée aux petitesses et aux fragmentations. Elle doit stimuler à chercher Dieu, à vivre le Christ, doit devenir un lieu de communion pour toute l'humanité, pour les pauvres de la terre. Seule elle en est capable. L'Église a des contours puisqu'elle a un corps, mais elle n'a pas d'intérêt si ses membres ne sont pas frères de tous les hommes. « S'ils n'aiment que ceux qui les aiment et leur ressemblent, les incroyants ne sont-ils pas en mesure d'en faire autant ? L'inconséquence des divisions entre chrétiens enlève une crédibilité à leurs paroles et éloigne de l'Église les nouvelles générations. » Découvrons les dons spécifiques de chacun.

« Les communautés issues de la Réforme deviendront-elles ainsi attentives à cette source d'unanimité dans l'Église catholique qu'est l'eucharistie ? Contre vents et marées, l'Église catholique a permis que l'eucharistie demeure une source d'unanimité de la foi, comme un fleuve souterrain traversant toute son histoire, même les périodes les plus sombres (alors qu'il a toujours été dans la nature du protestantisme de laisser à chacun une possibilité d'interprétation personnelle des paroles du Christ, y compris dans l'eucharistie).

Adorable présence du Christ dans le pain et le vin, l'eucharistie ne peut pas être vécue dans un automatisme facile, mais toujours dans l'esprit de pauvreté et la repentance du cœur, avec une âme d'enfant, et cela jusqu'au soir de l'existence. Quand le pape Pie X, au début de ce siècle, a ouvert l'eucharistie aux enfants eux-mêmes, il a fait preuve d'une rare intuition
L'eucharistie est là pour les affamés du Christ. Quand un baptisé a faim de l'eucharistie et voudrait s'en approcher, quand le Christ l'appelle, qui oserait refuser ? En se tenant dans de longs silences intérieurs en présence de l'eucharistie, alors qu'il semble que rien ne se passe, beaucoup ont mûri les grandes décisions de toute une existence. Ils se sont laissés atteindre jusqu'au plus profond de leur être, ce qu'on appelle l'inconscien

« Mon Royaume est au-dedans de vous. » : Même sans résonance sensible au cœur, l'eucharistie rend actuelle à chaque instant cette parole du Christ, même pour qui ose à peine l'imaginer.
Si l'Église catholique est avant tout l'Église de l'eucharistie, elle a un autre don particulier, elle a su mettre à part des hommes pour apporter le pardon, délier sur la terre ce qui l'est aussitôt dans le Royaume, enlever le poids trop pesant sur les épaules, effacer le passé même le plus récent.

Dans la confession, il est donné d'exprimer le plus spontanément possible ce qui pèse sur la conscience. Vouloir tout dire de la faute, personne n'y parvient. Mais dire ce qui surgit à l'instant même, c'est déjà immense pour recevoir dans le sacrement de la réconciliation le pardon non imaginable de Dieu.
Certains en ces temps ont cru que, pour déculpabiliser l'homme, il fallait minimiser ou même nier le péché. Force est de constater qu'une telle attitude, loin de déculpabiliser, diffuse la culpabilité dans tout l'être, l'étale au point qu'elle devient inatteignable, voire même indéracinable
Les uns, avec un grand sérieux, font un usage fréquent de la confession, tant il leur est nécessaire de vivre de ce signe visible qui efface tout le passé. D'autres, avec tout autant de sérieux, en font un usage moins fréquent, tant ils savent que Dieu les garde dans Son pardon.
Dans les deux cas, la confession, si maladroite soit-elle, est ce lieu essentiel pour réapprendre une fraîcheur d'Évangile, pour entrer dans une nouvelle naissance. Là nous apprenons à souffler sur les remords eux-mêmes, comme l'enfant souffle sur la feuille morte. Là est le bonheur de Dieu, l'aurore de la joie parfaite.

Quant aux Églises protestantes, leur don particulier fut d'être avant tout les Églises de la parole. L'Église catholique aussi a toujours cherché dans l'écriture une source pour vivre de Dieu. Mais les catholiques reconnaîtront-ils que le meilleur du protestantisme, ce fut de découvrir l'impact de la parole de Dieu dans la vie personnelle ? », de la prendre au sérieux dans son existence et de la laisser nous travailler au plus intime.
Parfois aujourd'hui l'absolu de Dieu est échangé contre des citernes qui ne contiennent pas d'eau vive. Les moyens forts contre l'autoritarisme sont les moyens de la communion. « Sans création artistique, des courants de puritanisme et de sectarisme se développent, ils déshumanisent et font pression en donnant mauvaise conscience. Il s'agit plutôt de disposer dans la beauté simple de la création et l'art lui-même est un don de Dieu. » L'Église doit ouvrir à une source d'où jaillit l'étonnement, l'émerveillement, qui atteint l'être global, charnel et spirituel. Comment tenir face à l'aridité ou le vide de sa prière ? « Quand, au cœur de son cœur, l'homme se sait aimé pour toujours, il ne craint pas d'attendre dans le silence, même si certains silences devaient se prolonger jusqu'à la mort. » Ouvrir dans la société des chemins à une espérance du Christ. Nous n'avons pour cela que la violence des pacifiques, « celle des bouillants qui s'emparent des réalités du Royaume de Dieu. » Refuser tout don, sous peine de se réveiller un beau matin soumis aux compromissions des puissances de l'argent. Comment témoigner de l'unité de l'humanité dans cette division entre Nord et Sud ?

Johan raconte : « Deux semaines après mon retour de Finlande, un jour que j'entrais dans l'église, soudain j'ai vu Dieu qui se tenait debout au-dessus des marches du chœur. Il avait les bras étendus comme en un geste d'accueil et il rayonnait un immense amour, un immense désir d'accueillir chacun, le médiocre comme le saint. Si j'en parle avec tant de retard, c'est qu'il m'a fallu du temps pour assimiler une expérience à la fois forte et fugitive et pour me rendre compte que cela n'est peut-être pas arrivé pour moi seul. » Le cardinal Pellegrino, debout avec un courage sans limites, rejetés par les puissants de ce monde, dans la lignée des pères de l'Église, un homme des sources de la foi.

Nombreuses intentions de mères et de grands-mères : « je suis venue ici prier pour ceux qui perdent la foi, pour mes petits-enfants. » Continuons le combat pour ne pas permettre à la désespérance de l'emporter. « Comment laisser pressentir le Christ, le pauvre de Nazareth, présent en transparence dans le cœur de tout homme ? » « Trouver des mots pour redire, semaine après semaine, qui est ce pauvre de Nazareth, lui qui chemine sur nos chemins d'obscurité et les éclaire quand notre regard se laisse traverser. » « L'allégresse de la terre ne me quitte plus. De jour en jour, elle ne fait qu'un avec cette autre allégresse des communions humaines. Mais, sans une présence plus certaine que toutes les réalités terrestres, rien ne tiendrait de ce bonheur. » « Dans la vie de l'Église, le berger […] a pour seule charge d'être serviteur de communion. Il est là pour tenter de réanimer ce qui, sinon, se disloquerait et s'éparpillerait, au point qu'un jour cette communauté n'en serait plus une.  » Les hommes aujourd'hui ne peuvent plus accepter qu'un honneur soit lié à une charge pastorale, c'est dans cette perspective que frère Roger a, des années auparavant, refusé la Légion d'honneur. En visite en Inde, dans les mouroirs : un enfant, musulman, dont la mère dit : il ne fait plus que prier, les gens du quartier sont surpris que nous étrangers acceptions de dormir par terre, « ce visage inoubliable de beauté d'une jeune femme chrétienne qui a une tuberculose des os avancées et qui répète : aujourd'hui, c'est un beau jour. » Mère Teresa lui dit : vous devriez porter votre robe blanche tout le jour : les hommes de notre temps ont besoin de ce signe. De nombreux lépreux réclament l'imposition des mains.


Le chant du lépreux

« Une question monte incessamment du cœur de l'homme : si Dieu existait, il ne permettrait pas les guerres, l'injustice, la maladie, l'oppression de serait-ce que d'un seul être humain. Si Dieu existait, il empêcherait l'homme de faire le mal.
À Calcutta, dans une léproserie, au cours de deux visites, j'ai vu un lépreux élever les bras avec ce qui lui restait de mains et se mettre à chanter les paroles que voici : Dieu ne m'a pas infligé un châtiment, je le chante parce que ma maladie est devenue une visite de Dieu.
Certes, à ses côtés, d'autres lépreux gémissaient de douleur et de désespoir. Mais celui-là l'avait compris : la souffrance ne vient pas de Dieu, elle n'est pas la conséquence d'une faute, Dieu n'est pas l'auteur du mal, il n'est ni un manipulateur ni un tourmenteur de la conscience humaine.
Écoutant ce chant du lépreux, je croyais entendre Job, ce vieux croyant d'avant le Christ, abreuvé d'épreuves. Job savait que son immense douleur n'était pas la punition d'une faute. L'innocent, dépourvu d'habileté, peut être victime autant que le tyran, le despotique au cœur de pierre. Et un jour Job parvient à dire comme le lépreux de Calcutta : dans mes épreuves, Dieu me cherche, je sais maintenant que mon Rédempteur est vivant, aussi mon cœur en moi se consume. 
Mais pourquoi Dieu n'empêche-t-il pas l'homme d'accomplir le mal ? C'est qu'il n'a pas fait de l'être humain un automate. Il a créé l'homme à son image, c'est-à-dire libre.
Quand nous aimons un être humain de toutes nos fibres, notre amour veut laisser cet être aimé libre de répondre par un même amour mais libre aussi de refuser.
De même, Dieu nous aimant d'un amour qui ne peut se décrire, nous laisse libres d'un choix radical : libres d'aimer mais aussi de refuser l'amour et de rejeter Dieu; libres de répandre dans le monde un levain de réconciliation mais aussi un ferment d'injustice; libres d'aimer ou de haïr; libres de rayonner la radieuse communion dans le Christ mais aussi de nous y arracher et même de détruire en autrui la soif du Dieu vivant. Il nous laisse jusqu'à la liberté de nous révolter contre Lui.
Mais voilà que, tout en le laissant libre, Dieu n'assiste pas passivement à la peine de l'homme. Il souffre avec lui. Il nous visite jusque dans le désert de nos cœurs par le Christ qui est en agonie pour chaque homme sur la terre. »

« Ô Dieu, toi qui souffres de la mort de tes amis, tu ne nous laisses pas sombrer dans le chagrin de la mort de nos bien-aimés. Elle te coûte la mort de qui nous aimons. Par le Christ qui est en agonie pour chaque être humain, tu souffres avec qui traverse l'épreuve. Et, par le Ressuscité, tu viens alléger le fardeau insupportable, tu ouvres nos yeux à l'étonnement d'un amour. Par lui, tu nous redis sans cesse : « Toi, viens à ma suite, car je suis doux et humble de cœur, en moi tu trouveras le repos, te reposant sur moi, tu connaîtras la guérison. » »



« Quel chemin suivre pour ne constituer qu'une seule famille humaine? » Nous allons au Bangladesh et ailleurs pour vivre une présence de gratuité, en soutenant cependant des initiatives de jeunes. Dans la mort nous nous débattrons seuls avec Dieu. « Laisse transfigurer l'angoisse en confiance. »


Lettre d'Afrique

Il ne force jamais la main de quiconque

« Si souvent tu m'interroges : « comment me réaliser ? » Que ne puis-je poser ma main sur ton épaule et, avec toi, avancer sur le chemin. Ensemble nous tourner vers Celui qui, connu ou inconnu, sans jamais s'imposer, paisiblement t'accompagne
. Le laisseras-tu déposer au creux de toi-même la fraîcheur d'une source; ou rougirais-tu de toi au point de lui dire « je ne suis pas digne que tu m'accompagnes » ?
Ce qui fascine en Dieu, c'est son humilité. Il ne punit jamais, il ne tire pas sur la corde, ni ne blesse jamais la dignité humaine. Venant de nous, tout geste autoritaire défigure sa face et fait fuir.
Et le Christ, « pauvre et humble coeur », lui, ne force jamais la main de quiconque. S'il s'imposait, je ne t'inviterais pas à le suivre. Dans le silence du cœur, inlassablement, pour chacun il murmure une parole «  n'aie pas peur, je suis là ».

Vivre la pâque avec Jésus

À la joie il appelle, non à la morosité. Non pas gémir sur les liens qui t'enserrent ou la tyrannie d'un moi que tu veux préserver. Non pas te replier sur toi pour te survivre mais, à tous les âges, une nouvelle naissance.
Sa joie non pour te l'approprier, tout bonheur te fuirait. Je souhaiterais t'entraîner à créer, par ta vie, le poème d'un amour avec lui. Non point un poème de facilité, mais, jusque dans la grisaille de tes jours, son allégresse et la gaîté elle-même. Sans elles, qui se réaliserait ?
Quels que soient tes doutes ou ta foi, ce qui captive, il l'a déjà placé au devant de toi. Personne ne pourra répondre à ta place. À toi seul d'oser. Comment ? Partir au loin pour t'enfoncer dans les conditions les plus rejetés; renverser les puissances d'injustice; rendre l'homme à sa dignité; est-ce cela t'exposer ? Oui, mais là n'est pas le tout de la vie Ou encore : partager tes biens, serait-ce cela l'audace de l'Évangile ?
Le jour viendra où, pour suivre le Christ, tu y seras entraîné, inéluctablement. Y répondre supposera de t'attarder aux sources intarissables. Qui renoncerait à d'abord y étancher ses soifs, deviendrait, à son insu, un doctrinaire du partage.
Mais quel est, pour tous, le plus grand des risques proposé par cet Humble de cœur ? Il est de « vivre la pâque avec Jésus ».
Avec lui, traverser les passages de la mort à la vie, l'accompagner parfois dans son agonie pour toute la famille humaine; et, à chaque jour, déjà commencer à ressusciter avec lui. La joie, non pas l'accablement; À chaque instant tout déposer en lui, jusqu'au corps fatigué. Et cela sans méthodes singulières, tu y aurais perdu le sens de la prière.
Sauras-tu l'attendre quand les profondeurs crient de solitude et tirent de tes entrailles l'ultime question « où donc est Dieu » ? L'attendre jusque dans les aridités de cette terre assoiffée de ton corps et de ton esprit. Attendre aussi avec beaucoup d'autres un événement dans l'aujourd'hui de l'humanité. Cet événement ne relève ni du merveilleux, ni du fabuleux, il n'est pas davantage une projection de toi-même. Fruit d'une attente priante, il s'inscrit concrètement dans le sillage d'un miracle de Dieu.

Dans la prière toujours pauvre, comme l'éclair traverse la nuit, tu découvriras son secret : tu ne te réalises qu'en présence de Dieu… et aussi, tu éveilleras à Dieu, avant tout par ta propre vie. Dans une ardente patience, ne t'inquiète pas de mal savoir prier. L'ignores-tu ? Toute prétention spirituelle est déjà la mort de l'âme. Même sans le reconnaître, te tiendras-tu, auprès de lui, dans de longs silences où rien ne semble se passer ? Là, avec lui, s'élaborent les plus fortes décisions. Là se dissolvent les continuels « à quoi bon » et le scepticisme d'un désabusé.
Dis-lui tout et laisse-le chanter en toi le don radieux de la vie. Dis-lui tout jusqu'à l'indicible et même l'absurd
Quand tu comprendras peu son propre langage, parle-lui en. Dans tes luttes, il suscite en toi une parole, une intuition, une image… Et germe au-dedans de toi une fleur de désert, une fleur d'allégresse.

Le feu de son pardon.

Te réaliser ? J'aimerais aplanir pour toi le sentier qui mène aux sources jaillissantes. Là, et pas ailleurs, s'épanouissent l'imagination, les forces viriles du risque.
Le sais-tu assez ? En chaque être humain un don irremplaçable. En plus ou en moins tout t'habite, toutes les tendances. En toi les terres fertiles, en toi les déserts brûlés.
Te réaliser ? Ne te place pas au rang des gens arrivés. Tu y perdrais des énergies vitales et cette transfiguration de la volonté en capacités créatrices.
Pas de complaisance avec toi-même. Ne t'attarde pas aux situations sans issue. Sans hésiter, passe à l'étape essentielle, hâte-toi.
À ton insu, tu peux blesser ce que tu touches. Seul le Christ, lui,touche sans blesser.
Considère le prochain non pas dans une phase de son existence, mais dans toutes les étapes de sa vie. Aussi ne cherche pas à séparer la mauvaise herbe du bon grain. Tu tuerais les deux à la fois et, en arrière de toi, quelle dévastation. Tu aurais échangé la perle rayonnante contre les terres crevassées qui ne retiennent pas l'eau.
Tu me dis encore « comment me réaliser quand telle image de ma propre histoire recouvre d cendres la source d'eau vivre ? … oublier les ravages du passé, personne ne le peut et pas davantage le regret tenace, lancinant. » un seul soupir sorti de tes entrailles, déjà tu es inondé de confiance. Ce qui t'enchaîne, Dieu s'en occupe
Pour toi cette prière « pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font, pardonne-moi, je ne savais pas ce que je faisais ».
Aimer, c'est vite dit. Pardonner, c'est aller jusqu'à l'extrême de l'amour… Pardonner non en vue de changer autrui, mais uniquement pour suivre le Christ. Nul ne peut s'approcher plus près du Dieu vivant… Te voilà toi-même source du pardon. Aux temps d'obscurité, quand se perd le sens de la vie et jusqu'à ton identité, flamboie une lueur suffisante pour éclairer ta nuit……S'engouffre en toi le feu de son pardon et se dissipe ta propre confusion; il t'appelle par ton nom;, et ce feu brûle même les racines d'amertume. Ce feu ne dit jamais « c'est assez ».

Deviens ce que tu es

Te réaliser ? Hésiterais-tu face à un choix par crainte de te tromper ? T'enliserais-tu dans les marécages de tes atermoiements ? Sache-le, un oui au Christ pour toute la vie est entouré d'une part d'erreur; mais celle-ci est purifiée, déjà au départ, par un acte de la foi. - Partir alors sans voir, lui faisant confiance sur sa parole.
N'appelle plus ta propre ténèbre pour couvrir ton refus. Heureux qui arrache sa main de devant ses yeux pour prendre le plus grand des risques, «  ivre la pâque avec le Christ ». Te réaliser ? Deviens ce que tu es au cœur de ton cœur. … et s'ouvrent les portes de l'enfance, l'étonnement d'un amour. »


Citations




Ad majorem Dei gloriam