Retour à la
page d'accueilPage principale sur frère
Roger
Ta fête soit sans fin (1971)
Dans ces pages, je tente d’être à découvert, repoussant les
illusions. Me savoir pauvre me donne d’être moi-même. À partir de sa
pauvreté, l’homme aime, crée, lutte, s’émerveille, mais il paie cher le prix
de sa liberté.
Et si la fête disparaissait
Si nous nous réveillions dans une société bien organisée,
fonctionnelle, rassasiée mais vidée de sa spontanéité; si la prière des chrétiens se
réduisait à un discours cérébral, sécularisé, sans sens du mystère, de
la poésie, sans prière du corps, ni intuition, ni affectivité... « Si la
fête s'effaçait du corps du Christ, l'Église, y aurait-il encore sur la
terre un lieu de communion pour toute l'humanité ? Cette soif de
communion, toujours la même pour chaque génération, je la pressens, intense
jusqu'à l'angoisse, chez des jeunes ici sur la colline : Communion avec
l'homme dans ses luttes et ses aspirations, en ces années où nous
assistons à une crise de confiance en l'homme. Communion avec le Christ.
Pour tant de jeunes, se tenir devant Dieu est une réalité forte, qu'ils
soient capables ou non d'un dialogue dans ce face à face. »
Les jeunes ont une réserve a priori envers ceux qui ont la charge de
l'autorité. Sans la fête il n'y aurait plus de force pour la
communion.
La fête dans la lutte
« La fête, c'est comme un petit champ que l'on cultive en soi-même, un
petit terrain de sport où s'exercent liberté et spontanéité. » Aussi
longtemps qu'on ne viole pas la liberté de l'autre, que l'on consent à la
créativité. Dieu nous rencontre en notre part de solitude qu'aucune
intimité humaine ne peut remplir; et « c'est là, dans cette profondeur,
que se situe la fête intime du Christ ressuscité », qui est notre fête.
Intolérable reste la détresse de l'homme, pour nous sacré. Mais
renoncer pour cela à la fête intime offerte à tout chrétien serait ployer sous
le fardeau de notre désespoir et ne plus proposer à l'humanité que
notre tristesse. « Vivre la fête empêcherait-il d'entrer dans le combat et
la lutte pour la justice ? Au contraire. La fête n'est en rien une
euphorie passagère. Elle est animée par le Christ en des hommes et des
femmes pleinement lucides sur la situation du monde et capables d'assumer
les événements les plus graves. Mais ces hommes et ces femmes savent qu'ils sont eux aussi habités par le besoin de puissance et
d'oppression qui est à l'origine de la guerre et de l'injustice. Ils
savent que le combat commence d'abord en eux-mêmes, afin de ne pas être, à
leur insu, parmi les oppresseurs. Alors la lutte elle-même devient fête
: fête du combat pour que le Christ soit notre premier amour; et fête
de la lutte pour l'homme écrasé. »
L'idée du concile des jeunes est née de l'impasse où se trouvait la
vocation œcuménique, à cause du rejet brutal de l'Église par beaucoup.
Les relations entre confessions sont devenues meilleures mais
n'aboutissent pas à une unité concrète dans le corps de Jésus-Christ, on s'est
installé dans un processus de parallélisme. « Sans unité pas d'accueil
offert. » « Si nous continuons à leur dire [aux jeunes venant à Taizé] :
rentrez chez vous et poursuivez là où vous êtes, cela devient un alibi.
Sans le vouloir, par notre absence de réponse et notre refus
d'accomplir un geste, nous en poussons beaucoup à l'agnosticisme. » Il n'y aura
ni mouvement, ni théologie, ni spiritualité de Taizé, qui reste
simplement le nom d'une famille monastique. Le concile est un moyen de rendre
plus net le visage d'une Église authentiquement pauvre, missionnaire et
pascale, détachée de toute puissance temporelle et audacieusement
engagée dans la libération de tout l'homme, de tous les hommes. (cf.
Conférence de Medellin, 1968)
Journal février-juin 1969
« Dans le silence des déserts, la rencontre avec Dieu est tonifiée.
L'homme, dans sa solitude, est sensible à une présence qui l'habite. » Les
valeurs simples, le silence, l'amour des choses, des animaux,
fortifient la dynamique créatrice. D'aucuns réprouvent les caméras pendant la
prière, à cause du sérieux qu'ils y portent; mais d'autres, non sans
autant de sérieux, se réjouissent de cette communication rendue possible
avec des multitudes. L'Église se recrée, est en continuel état
d'enfantement. Chacun recommence chaque jour la démarche : à partir de ma nuit
vers une lumière. Se refuser à l'émotivité permanente et
superficielle, qui use les énergies, garder vivante sa sensibilité. Beaucoup de
protestants, parmi eux des pasteurs, disent au frère Roger : « Depuis le
concile du Vatican, l'Église catholique a répondu aux questions posées
par la Réforme à tel point que le protestantisme a perdu ses raisons
d'existence séparée; le meilleur de ses aspirations a désormais été
intégré dans l'Église catholique. Va-t-il en tirer les conséquences
ou trouver de nouvelles justifications à la séparation ? » Même à
l'intérieur de l'Église catholique aujourd'hui la protestation ne porte plus
sur les excès mais trouve de plus en plus son but en elle-même - ceci
nous mène très loin de l'œcuménisme. La protestation devient à son tour
une idéologie et non plus une critique créatrice. « Me libérer
d'idéologies et me refuser le luxe de distraire des énergies tellement
essentielles pour rendre la terre habitable. » Il y a une valeur du provisoire,
mais le changement n'opère pas par magie, l'intérieur reste identique
malgré le dépaysement; on peut vouloir changer pour ne pas avoir à payer
le prix d'une mutation en soi-même, reste alors, dans ce cycle,
l'insatiabilité. « Aridité du seul à seul avec le Christ. Il semble que rien
ne se produit. Les jours passent, le temps s'écoule. La valeur même
de la recherche ne s'aperçoit que plus tard. Ce n'est certes pa!
s pour être mieux dans sa peau que l'on poursuit dans cette fidélité.
L'enjeu est ailleurs, il est plus grand. »
Frère Roger pose la
question à ses frères : « En dépit de tous les usages politiques qu'on en
a fait après coup, pourquoi la Mère du Christ ne serait-elle pas
apparue à trois enfants de Fatima pour consoler les pauvres d'un peuple qui
allait tant souffrir ? Que l'image décrite par les enfans ne soit pas de
notre goût, peu importe. Toute apparition demeure toujours
intraduisible par des images. » Introduction d'un hymne grégorien en latin aux
complies du dimanche soir, certains se demandent pourquoi, puisque nous
n'y sommes pas tenus : « Parce que nous sommes des hommes libres. Nous
faisons preuve de non-conformisme en chantant cet hymne qui nous vient
des profondeurs des âges. » Notre société connaît peu d'élans durables,
ses spontanéités ont peu de lendemains. Tout homme est traversé, qu'il
le veuille ou non, par les ondes de la pensée de notre époque. Dans
les langues du sud, le mot église veut dire réunion. À trop se presser, l'homme s'essouffle.
« Les abandons de tant d'hommes fuyant
l'Église alourdissent jusqu'à l'accablement. Quel abîme, l'infidélité ! »
À ces étapes, il nous attend, le Christ en agonie pour chaque homme.
« L'imagination, quand elle élabore des projets d'avenir pour les siens,
peut empêcher de saisir en son temps le dessein de Dieu. Tout en même
temps l'imagination, comme force créatrice, projette l'homme hors de
lui-même et lui donne de chercher pour autrui une transformation, une
mutation. » L'écriture est mon artisanat, comme un autre pétrit la pâte et
enfourne la pain : cela rend à une autonomie essentielle. « Le refus de
l'efficacité devient un signe efficace qui répond tellement aux besoins
de l'humanité. » « Ces temps, je me retrouve souvent dans la petite
église romane auprès de la réserve eucharistique. Ce lieu est habité. La
foi de l'Église catholique en témoigne depuis les premiers siècles.
Comment se fait-il que je n'aille pas devant la réserve de pain eucharistique
que nous conservons sur un petit autel après notre eucharistie de Taizé ?
Serait-ce que la foi de nos églises d'origine ne s'y
trouve pas confirmée par les siècles ? » Quand il avait cinq ans, il entra
dans une église catholique, y fut marqué par la lumière qui éclairait
la Vierge et la réserve eucharistique. De même des années plus tard à
Besançon, il se leva avant tout le monde pour se rendre dans l'église en
face de la maison de son oncle.
« Le Christ tout près de moi :
c'est tout, cela ne m'intéresse pas d'en savoir davantage. » La recherche
œcuménique vécue n'est pas à opposer à la recherche doctrinale : en
priant plusieurs fois la liturgie séculaire de l'Église, nous assimilons
les thèmes de la foi, nous nous pénétrons de théologie. « D'ailleurs, la
théologie ne se situe-t-elle pas aussi dans un seul à seul avec Dieu ? Si
elle est connaissance sans contemplation, elle perd sa créativité.
Quoi de plus dur qu'un homme dont la science théologique n'est pas inondée
par la fraîcheur d'une communion avec un Autre. » Le concile de!
s jeunes : une rencontre exigeante, cherchant la durée. Les gestes
respectueux devant le lutrin, l'autel, de la liturgie catholique,
rappellent la joie dansante de David devant l'arche.
Prière
et engagement politique
La prière est d'abord attente de
Celui qui n'est pas moi-même, ni une fuite ni une projection de moi,
laisser jour après jour monter en soi le « viens Seigneur » de
l'Apocalypse. Démarche accessible aux tout petits comme aux vieillards,
s'exprimant dans une grande pluralité. « En face de cet Autre, nos intentions se
purifient, notre cœur trouve une limpidité. Face à ce Christ qui
existe en lui-même, qui pourrait se dérober ? » La contemplation libère
l'homme d'un projet intéressé, donne de prendre du recul jour après jour,
elle est essentielle pour un engagement politique audacieux, pour ne
pas chercher à imposer inconsciemment sa propre réussite, mais un service
uniquement. Elle hiérarchise les valeurs en face du Christ.
Toujours domine en les frères de Taizé l'intime volonté de donner sa vie
pour l'homme. Quand tous les moyens paraissent avoir été essayés,
frère Roger ne peut pas répondre à la place des autres à la question de
l'usage de la violence, dans un esprit purifié de tout intérêt
personnel, mais, malgré l'opposition de l'évangile en lui, peux garder la
communion avec ceux qui sont conduits à cette position extrême. Telle est sa
prise de position politique : « Donner sa vie pour que l'homme ne soit
plus victime de l'homme. »
Journal juillet-décembre
1969
En ces temps la hiérarchie se purifie; « elle ne saurait
disparaître sans que tout le corps ne se disloque avec elle, et cela est
en moi une certitude. » Attention à ne pas resacraliser l'instantané,
le provisoire. L'intention du frère Roger dans son livre « Dynamique du
provisoire » était d'exprimer les aspirations actuelles à la spontanéité
en les situant en étroite complémentarité avec les continuités de toute
une vie. « Aux immensités sous-jacentes à la personne humaine !
s'offre une transfiguration. » Cette année à Taizé la recherche du
Christ domine, plutôt que l'opposition systématique aux institutions
d'Église, à tout homme représentant l'autorité. Dans de tels assauts,
parfois menés par des religieux et des prêtres, le diviseur se garde un
terrain de choix, sévit au cœur de l'Église, changeant des volontés de
purification de l'Église en hostilité voire en haine. « En méprisant
l'Église, c'est vous-mêmes que vous détruisez, vous les membres du corps de
Jésus-Christ. » L'essentiel de la vocation de Taizé : prière, amour de
l'Église, recherche de la justice. « Depuis les débuts de Taizé, dans
ce lieu isolé, l'homme avec ou sans Dieu, victime des puissants, m'est
présent jour après jour. » D'un homme qui va renouer avec son sacerdoce
: « L'Église souffre ! Voilà pourquoi nous ne pouvons pas l'abandonner. »
Aldrin, cosmonaute d'Apollo XI, avait apporté avec lui le pain et le
vin consacrés de l'eucharistie. Arrivé sur la lune, il pria et communia.
Admiration face à la qualité des frères de Taizé, qui donnent toute
leur vie, paient chèrement le prix de leur engagement. Le
renoncement aux fraternités de jeunes a coûté au frère Roger.
La mère de frère Roger, quatre-vingt-neuf ans, à la sortie de l'église
: « Je sais que dans l'au-delà où je serai, je louerai Dieu
continuellement. Comme cette louange est déjà le meilleur de ma vie sur cette
terre, quelles beautés je connaîtrai alors ! » Suivant Pie X, qui osa
ouvrir l'eucharistie aux petits enfants, « aujourd'hui, quel évêque de Rome,
animateur premier des réconciliations, aura la force intérieure d'un
geste simple : ouvrir la communion catholique à tous ceux qui, non
catholiques, cherchent la réalité de la présence du Christ dans
l'eucharistie, et promouvoir par là un élan de réconciliation ? » L'homme tire le
monde jusqu'en ses déserts. Caractériser son existence par ce mot :
fidélité. Frère Roger questionnant une chorégraphe, elle lui répond :
« Nous autres occidentaux, nous ne pouvons faire abstraction de nos
inhibitions. La danse dans le culte demeure un artifice. Pourtant, vécue à
notre mesure, elle peut se manifester par des mouvements imperceptibles.
Ils suffisent. C'est ainsi que je peux faire danser même des
paralysés. »
Visite de l'église Santa Maria in Via Lata, à Rome, récemment
réouverte, dans l'appartement de laquelle Angelo Roncalli habita alors qu'il
était jeune prêtre. « L'homme est créateur. Si certaines de ses
découvertes polluent eau et air, il trouvera moyen de réparer. Quand je sais
que la montée croissante de l'humanité nécessite des moyens gigantesques
de développement, j'ai confiance dans la capacité créatrice de l'homme.
Vis-à-vis de la technique, l'optimisme l'emporte. » « De plus en plus
gagné par une conviction : notre communauté ne pourra tenir si elle
n'anticipe pas une communion avec l'évêque de Rome, sans pour autant renier
nos familles spirituelles d'origine. » « Certains courants actuels
recherchent la pluralité sans unanimité. Dans l'Église cela donne un corps
sans cœur. Dès lors une lutte s'instaure entre ceux qui ne
s'intéressent qu'à la diversité des membres et ceux qui, par réaction, veulent
imposer un cœur gigantesque. » Visage de Dieu sur des visages de
pauvres. « Ce ne sont pas ceux qui disent "Seigneur, Seigneur" qui
font la volonté du Père. De même ce ne sont pas ceux qui disent
"réformes, aggiornamento" qui sont les plus réceptifs. Laver le dehors de la
coupe, c'est bien, mais que deviendrons-nous si l'intérieur n'est pas
limpide ? » Les réformes ne servent à rien si les hommes ne sont pas
transformés. Audience privée de Paul VI : mot d'accueil tellement généreux
pour Taizé que frère Roger n'ose le redire. Le péché : un déterminisme
de désordre est présent dans l'homme. « Il est là chaque fois que je
préfère consciemment ma volonté à celle du Christ, chaque fois que, au
lieu de servir l'homme, je l'asservis à moi-même. »
Dès
l'aube, une fête
Pas de privilèges dans le domaine de la vie intérieure : chacun doit
recommencer chaque jour, retrouver chaque matin les croix comme la fête
intime. « Ce qui nous permet de tenir, c'est un engagement pris pour la
vie entière, un oui qui n'est pas remis en question. Il est des jours
où ce oui peut devenir lourd, il ne provient plus de la spontanéité de
l'être; pour un temps l'engagement pris devant Dieu est observé comme
une loi. Cela est vrai aussi pour ceux qui vivent la fidélité conjugale
du mariage. De temps en temps, la loi nous est nécessaire comme un
pédagogue. Mais pas trop longtemps ! Vient toujours le moment où la fête
est rendue. » La présence de frères catholiques à Taizé fait sortir des
dialogues œcuméniques inutiles qui n'aboutissent pas à l'unité, nous
contrait à nous demander : « qu'est-ce que l'unité ? L'unité de tous les
chrétiens peut-elle se recomposer sans un centre visible, sans un
pasteur universel ? » Qui sinon parlera en notre nom à tous les hommes,!
« qui actualisera une parole vivante du Christ, valable pour tout le
peuple de Dieu, dans notre aujourd'hui ? » L'existence de chrétien :
vivre continûment le mystère pascal : de petites morts successives suivies
par les amorces d'une résurrection. « La fête réapparaît même dans les
moments où nous ne savons plus très bien ce qui nous arrive, même dans
la plus rude épreuve de l'homme, une rupture affective. Le cœur est
brisé mais non point endurci; il se remet à vivre. » La fête exige de
consentir à l'humanité qui est mienne. Le Christ ressaisit tout, la fête
intime modifie l'événement et le transforme, redresse l'homme écrasé.
Elle ne provient pas d'un artificiel survoltage, mais se construit.
« Dans la monotonie de la vie se découvre peu à peu un rayonnement caché »,
renouvelé par les repas. Confiance en la prière de Jean XXIII, qui est
dans l'éternité de Dieu. « Pour vivre la fête, les visages comptent
plus encore que les paroles. Ils traduisent l'amitié et l'amitié
c'est le visage du Christ. Rien n'est plus beau qu'un visage rendu
transparent par toute une existence de combats et de luttes. Il n'y a
que de beaux visages, les visages tristes comme les lumineux. Ma vie,
c'est de discerner dans les autres ce qui les ravage, ce qui les
réjouit, c'est de communier à la souffrance et à la joie des hommes. » Ne pas
condamner quelqu'un, mais comprendre tout de lui. « Quand je parviens à
comprendre l'autre, c'est déjà une fête. »
Journal
janvier-mai 1970
Marie, premier témoin de l'Église, invite l'homme à se démunir de sa
suffisance, de son autoritarisme, pour être collaborateur de Dieu.
Comment provoquer une poussée vers une société équitable ? Deux jours après
la mort de sa femme, un vieil homme la voit à côté de lui, éclatante de
lumière, lui affirmant : « Ne sois pas triste. Traverse tranquillement
ces journées. Sache que maintenant je ne suis plus de la terre mais du
ciel. » « Aimer l'Église isolément, sans le Christ, aboutirait à
l'intransigeance. Mais aimer le Christ seul, sans son corps, suscite un
rétrécissement en nous. Aimer le Christ et aimer l'Église, c'est tout un et
ces mots m'interpellement inlassablement. » L'optimisme ouvre le chemin
du possible, malgré le statisme confessionnel. « Je m'attache à vivre
en homme qui sait sa part inéluctable de solitude. » « L'Église charrie
avec elle toute notre humanité et les tensions intérieures d'un être en
font partie. » De nombreuses revues modernes, même sérieuses, appellent
à décoller du reél, chercher des alibis, oublier la réalité
dans l'imagination. « Si mon vis-à-vis est un incroyant, la présence du
Christ serait-elle évacuée ? Elle est autre, je ne saurais comprendre
davantage. » L'autorité dans l'Église est d'abord communion, elle n'est
ni monarchique ni démocratique mais pastorale. Elle ne place pas son
ministre au sommet d'une pyramide mais au plein milieu des siens. La
conscience d'une pauvreté interne peut donner une transparence. "Pour
moi, le Christ est celui dont je vis, mais aussi celui qu'avec vous je
cherche. » « Élaborer une morale au travers de désirs non assouvis n'a rien
à voir avec l'évangile. » Souvenir, encore, du patriarche Athénagoras,
pour qui il n'y avait qu'une solution pour l'unité : l'eucharistie. Au
Conseil œcuménique, à Genève, la force de sécularisation est sensible,
les dialogues demeurent en-deçà que ce que nous voudrions nous
communiquer. Attention, suite au doute de nous-mêmes, à ne pas nous affirmer
avec brutalité pour se rassurer. On distingue, parmi les jeunes
chrétiens, deux expressions de contestation : ceux pour qui elle est
devenue une fin en elle-même, alors le dialogue active en eux des
pulsions irrationnelles et non maîtrisables; ceux qui laissent l'évangile
contester en eux, vivant de la Parole qui interpelle. Ces chrétiens sont
captivés par ce qui touche à la prière, à la foi, mais redoutent d'être
récupérés, il y a en eux une absence de confiance, des barrières
protectrices, loin de l'indispensable complémentarité entre charismes et
institutions, spontanéité et continuité. Paul VI a encore ces mots pour
Taizé, à l'Angelus : « Nous regardons vers Taizé avec une respectueuse
sympathie. »
Avec un petit frère de Jésus, dans l'église romane, en présence de la
réserve eucharistique : « Puis-je l'écrire ? Je ne veux pas de prodiges
qui me dépassent et voilà qu'une lumière intérieure et extérieure
emplissait le lieu. Je ne m'attardai pas, je me levai, tant je redoute de
mettre Dieu à l'épreuve. » Naissance de son soixante-septième
petit-neveu, Jean-Christophe du Christ, qui sera porteur du Christ. Pour tenir
dans sa vocation, reprendre un second souffle, une seule voie : en
revenir toujours et à nouveau aux premiers départs. Un papier d'un jeune :
« La prière commune, c'est une vie, ce n'est pas subi, c'est vécu. C'est
une célébration, non une ascèse... Le silence est dense, palpable, si
authentique qu'il est presque sacramentel. Plus que dans une piété
personnelle, où je ne rencontre que le Dieu du vendredi saint, j'ai
retrouvé le Christ de Pâques. »
Citations
« Œcuménisme signifie "toute la terre habitée", tous les hommes sur la
terre. Pas de recherche d'unité chrétienne sans une volonté d'aller
partout et de se rejoindre les uns les autres. » (Ta fête soit sans fin,
p. 21)
« Se tenir au désert n'est pas conforme à la nature de l'homme.
L'attention toute entière est requise pour saisir un silence habité en
plénitude. » (Ta fête soit sans fin, p. 27)
« Nous serons étonnés dans l'au-delà de rencontrer ceux qui, sans
connaître le Christ, en ont vécu à leur insu. » (Ta fête soit sans fin, p. 33)
« Ces dernières années, j'ai entendu à plusieurs reprises des
protestants (et parmi eux des pasteurs ayant une autorité personnelle) me dire :
« Depuis le concile du Vatican, l'Église catholique a répondu aux
questions posées par la Réforme à tel point que le protestantisme a perdu ses
raisons d'existence séparée; le meilleur de ses aspirations a désormais
été intégré dans l'Église catholique. Va-t-il en tirer les
conséquences ou trouver de nouvelles justifications à la séparation ? » (Ta fête soit sans fin)
« [Répondant à la question d'un jeune sur la signification de la prière
pour lui] Ne cherchez pas une réponse qui néglige votre humanité.
Quant à moi, je ne saurais comment prier sans le corps. Je ne suis pas un
ange et je ne m'en plains pas. En certaines périodes, j'ai conscience
de prier plus avec le corps qu'avec l'intelligence. Une prière au ras
du sol : ployer les genoux, se prostrer, regarder le lieu où se
célébrera l'eucharistie, faire usage du silence apaisant et même des bruits qui
montent au village. Le corps est là, bien présent, pour écouter,
comprendre, aimer. Quelle dérision de vouloir compter sans lui ! » (Ta fête
soit sans fin, p. 49)
« Progressisme et conservatisme risquent bien de provenir d'une même
source et d'avoir pour motivation une régression. Pour le progressiste,
régression vers l'adolescence, cet âge des éclatements où les continuités
apparaissent comme des carcans. Pour le conservateur, régression vers
un passé lointain, situé en-deçà de sa propre naissance : n'est valable
que ce qui appartient à ce temps. » (Ta fête soit sans fin, p. 51)
« La mise en avant de sa personne conduit invariablement à la
désespérance. » (Ta fête soit sans fin, p. 58)
« La remise à Dieu des soucis, des opposants, libère les énergies pour
regarder au-delà des situations, au-delà aussi des êtres. Peut-être
est-ce ainsi que déjà nous atteignons une parcelle d'éternité ? » (Ta fête
soit sans fin, p. 87)
« À travers toute son histoire, l'Église catholique, la catholica, ne
cherche-t-elle pas, après l'échec des repliements, à être lieu de
communion pour la multitude ? Si elle est rendue plus fragile par les épreuves
présentes, elle en devient d'autant plus perméable. J'ai confiance en
elle parce que, en dépit de toutes les scléroses, elle a permis que
soient vécues ces deux paroles du Christ : "Ceci est mon corps" et "Ce que
vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel". » (Ta fête soit
sans fin, p. 90)
« Consentir à sa propre mort donne de retrouver un courant de vie. » (Ta
fête soit sans fin, p. 124)
« Le Christ ressuscité fait de la vie de l'homme une fête continuelle. »
(Saint Athanase)
« L'homme est porteur du Christ mais impossible pour autant de ramener
le Christ à une dimension anthropocentrique. Nous n'en ferions qu'une
projection de nous-mêmes. » (Ta fête soit sans fin, p. 152)
« Ce ne sont pas celles qui voient Dieu qui sont des saintes, ce sont
celles qui y croient. » (Sainte Thérèse d'Avila)
« Admiration, étonnement : ces valeurs d'évangile débouchent sur
l'"enthousiasme" qui littéralement signifie "être saisi par Dieu". » (Ta fête
soit sans fin, p. 169)
« Réintégrer en soi les découvertes du point de départ demeure une
source de fête pour reprendre non seulement un second souffle mais de
nouveaux souffles successifs, jusqu'à la mort. » (Ta fête soit sans fin, p.
172)
Ad majorem Dei gloriam