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Aperçus de la pensée du frère Roger

Fleurissent les déserts du cœur : journal 1977-1979, publié en 1982

Pardon aux autres, à soi, abandon de toute culpabilité, évangélisation des profondeurs. Plutôt que rejeter notre culpabilité non assumée sur les autres en les accusant, sachons retrouver l'estime primordiale de soi, dont l'absence étouffe nos forces. Convaincu que l'Église catholique a une vocation à être ferment de communion, que l'évêque de Rome doit être pasteur universel, il invite ce dernier à actualiser une pastorale œcuménique, ce que fera Paul VI et qui sera au centre du pontificat de Jean-Paul II. Conviction, surtout face aux non-croyants, que toute créature est visitée par l'Esprit. Confiance même en cas de pauvreté de sa prière. Sécularisation des célébrations ! Ce n'est que dans ses journaux qu'apparaît un aspect de sa spiritualité : une attention à la nature qui l'ouvre à des thèmes de contemplation. La présence de longs textes méditatifs entrecoupant les pages de journal, mais profondément liés aux thèmes développés, est un aveu du fonctionnement de sa méditation, partant du concret des situations rencontrées. Procédure à la Gaudium et spes.


Quand les abandons, les doutes, les découragements, les silences de Dieu semblent recouvrir, discerneras-tu la fleur de désert ? Au désert de ton cœur, tu es renvoyé à l'unique essentiel : donner sa vie, personne ne peut découvrir un plus grand amour. Toute ton existence y retrouve un sens. Et l'ignorais-tu ? Au désert du cœur, jaillissaient d'intarissables ressources, une vie au-dedans, une lumière intérieure.

Après avoir partagé l'existence de bidonvilles d'Asie, les luttes européennes, les divisions des chrétiens apparaissent dérisoires. La densité de la prière commune provoque un dépaysement à l'intérieur de soi, ouvre aux réalités du Royaume de Dieu, par elle l'Esprit se transmet. « Depuis l'Asie, il apparaissait plus clairement que l'hémisphère nord était comme traversé de déserts spirituels. Ces déserts sont habités par l'ennui, le désenchantement, un doute diffus qui conduit au scepticisme. »

Du doute au bel espoir humain

« Dans les continents du Nord se cachent parfois les plus grands abandons humains, un isolement fondamental. L'Europe et l'Amérique du Nord ont leurs «  mouroirs » autant que l'Asie, mais ils sont invisibles. Des jeunes, à l'avenir incertain, vont jusqu'à se demander pourquoi ils sont nés. S'ils perdent le sens de l'existence, ils se laissent entraîner sur cette pente où se survivre demeure le but unique.
Comment se réaliser en Dieu, environnés d'un doute qui envahit tout ? Comment passer du doute à l'espérance de Dieu, ou tout au moins, pour les non-croyants, du doute au bel espoir humain ? En allant ces dernières années en Europe orientale, il m'a été donné de découvrir que, si les déserts du doute sont répandus sur tout l'hémisphère nord, ils sont perçus différemment par les jeunes chrétiens de l'Est et par ceux de l'Ouest.
À l'Est, les circonstances conduisent des jeunes chrétiens - non pas tous, bien sûr - à être plus attentifs que jamais à l'essentiel de la foi. Ils ne trouvent de réponse au doute ambiant que dans un engagement de leur existence qui conduit très loin. À l'Ouest, concernant la recherche de Dieu, certains jeunes - non pas tous - sont comme poussés à « jouer les affranchis ». Ils ont à leur disposition tant de possibilités de consommer, non seulement des biens matériels, mais aussi des loisirs et la culture elle-même, qu'ils se réalisent uniquement dans ce qui les captive. Le dialogue pour comprendre Dieu se transforme parfois en bavardages sur tout et sur rien. Les réalités d'Évangile les plus fortes meurent dans de creux verbiages. Certains abandonnent la foi pour être, dans le doute, solidaires avec les non-croyants. De tels chemins de facilité ne sont pas sans influencer le devenir d'une vie intérieure. Ils creusent le fossé où Dieu apparaît.
Pour qui cherche à se réaliser dans le Christ, la situation actuelle suscite un malaise. À l'Est comme à l'Ouest, il arrive que le doute assaille le croyant comme une subtile persécution invisible, jusqu'à lui faire supposer subjectivement qu'il est abandonné de Dieu et de son Christ. Dans une civilisation où le doute est partout affleurant, des chrétiens sont atteints jusqu'au plus profond quand ils s'entendent dire, entre autres, que leur foi n'est qu'une projection d'eux-mêmes. Le monde du doute est corrosif par des analyses toutes cérébrales où le cœur se meurt.

La tentation du doute met à l'épreuve la confiance en Dieu. Elle peut épurer comme l'or est épuré par le feu. Elle peut aussi plonger la créature humaine comme au fond d'un puits. Mais il demeure toujours une lumière par le haut. Complète, la nuit ne l'est jamais. Elle n'envahit jamais l'être en totalité. Dieu est présent jusque dans cette ténèbre.
Creusé en lui-même par l'épreuve du doute, celui qui veut vivre l'Évangile se laisse jour après jour engendrer par la confiance de Dieu. La vie y retrouve un sens. Le sens de l'existence ne se puise pas dans les nuages ou dans des opinions, il s'alimente à une confiance. Dieu dépose sa confiance comme un souffle de l'Esprit répandu sur chaque être humain.
Une des marques irremplaçables de l'Évangile, c'est qu'il invite l'être humain à donner en retour sa confiance à un Vivant sorti du tombeau. La foi n'est pas une opinion, elle est une attitude : le croyant accueille le Ressuscité pour devenir lui aussi un vivant, non pas un demi-mort. Déjà dans les débuts de l'Église, Irénée de Lyon, chrétien de la troisième génération après le Christ - il avait connu Polycarpe qui avait été lui-même disciple de Jean l'évangéliste - écrivait : « La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant. La vie de l'homme, c'est la vision de Dieu. » »



Partout dans le monde, des jeunes, attentifs à prier, veulent s'offrir généreusement, il y a sous-jacent en eux un sens de l'universel, une aspiration à la solidarité à tout homme. Ils portent sans toujours le savoir le nécessaire pour renverser les déterminations de haine, de guerre et de violence.

« Seigneur Christ, dans ta confiance en nous se trouve le sens de notre vie. À nous qui te disons : « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon peu de foi », tu ouvres une voie de création. Sur cette voie, tu nous donnes de créer même avec nos propres fragilités. Loué soit le Ressuscité qui, nous sachant vulnérables et démunis, vient prier en nous l'hymne d'une immuable confiance. »

Le pardon est la plus inouïe, la plus invraisemblable, la plus généreuse des réalités du Royaume. Halte au vertige de la culpabilité… accusant autrui ne sachant se pardonner à soi-même. Dieu n'est jamais tourmenteur de la conscience humaine. L'amour de Dieu est d'abord confiance et pardon. « Le Christ ne nous veut pas ivres de culpabilité, mais uniquement emplis, comblés, de pardon et de confiance. » Dans la mentalité occidentale, il faut trop souvent un opposant, savoir qui a tort, qui a raison - « reconnaître ses propres torts est considéré comme une humiliation ou une atteinte à la dignité. » C'est quand nous pardonnons que nous découvrons le commencement d'une résurrection sur la terre. « Le pardon : un miracle sans équivoque, l'extrême de l'amour. Chaque fois qu'il est reçu, passe le Dieu vivant. » Dieu a confié aux Espagnols le don du feu, engendrant des mystiques de leur sol profond labouré d'épreuves, allumant le feu d'une communion humaine. Sachons nous tenir près du Ressuscité en agonie pour chacun, étant allé jusqu'au tombeau du silence de Dieu; soutenir l'espérance des affamés de justice.

« Tu me demandes parfois où est la source, où est la joie de l'espérance. Je te répondrai. Tout ton passé, même l'instant qui vient de s'écouler, est déjà enfoui, noyé avec le Christ dans l'eau de ton Baptême. Ne pas regarder en arrière : là est une part de la liberté du chrétien. Seul l'intéresse d'accourir au-devant de l'événement. Renoncer à regarder en arrière. Non pas pour être irresponsable. Si tu as blessé ton prochain, l'abandonnerais-tu au bord du chemin ? Te refuserais-tu à une réconciliation, à verser de l'huile sur sa plaie ? Renoncer à regarder en arrière. Non pas pour oublier le meilleur de ton passé. À toi de célébrer les passages de Dieu dans ta vie, de faire mémoire des libérations intérieures. Oublier les dévastations du passé, diras-tu, personne ne le peut; reste le regret, tenace, lancinant. Si ton imagination te fait revoir telle image destructrice du passé, sache que Dieu, Lui, n'en tient pas compte. L'as-tu compris ? Pour vivre le Christ au milieu des autres, un des plus grands risques est le pardon. Pardonner et encore pardonner, voilà qui efface le passé et plonge dans l'instant présent.  Porteur du nom du Christ, chrétien, pour toi tout instant peut devenir plénitude. »


« Aimer est un mot si malmené. Aimer, c'est vite dit. Vivre l'amour qui pardonne, c'est une autre affaire. On ne pardonne pas par intérêt, pour que l'autre soit changé. Ce serait un misérable calcul qui n'a rien à voir avec la gratuité de l'amour. On pardonne à cause du Christ. Tu oseras prier avec Jésus sa dernière prière : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Et spontanément surgira cette autre prière : « Père, pardonne-moi, car si souvent moi non plus je ne sais pas ce que je fais. » Pardonner, c'est aller jusqu'à renoncer à savoir ce que l'autre fera de ton pardon. Pardonner : là est le ressort secret pour être, toi aussi, témoin d'un autre avenir. 

« Heureux qui ne se tourment pas par le remords… et ne laisse pas ternir son espérance. … Qui est sévère pour lui-même, pour qui serait-il bon ? …rien n'est pire que de se maltraiter soi-même. » (Si 14 1-6) « Dans le Christ… vous vous trouvez associés à la plénitude de Dieu. …avec Lui, encore, vous avez été ressuscités. …vous qui étiez morts par vos fautes, … Dieu vous a donné la vie avec le Christ, Il a pardonné toutes vos fautes. » (Col 2 9-13)

« Toi, le Dieu vivant, donne-nous de nous tourner vers toi à tout moment. Si souvent nous oublions que nous sommes habités par ton Esprit Saint, il prie en nous, il aime en nous. Ton miracle en nous, il est ton continuel pardon et notre confiance en toi. Toi, le Dieu vivant, dans l'instant « tu dissipes nos fautes comme le brouillard du matin », passant à notre doigt l'anneau du fils prodigue. »

« Brûler tous les papiers où sont inscrits la haine et le souvenir de l'offense, voilà un acte qui prépare le pardon. » Le refus de la réconciliation est une petite mort. « Rien n'est plus blessant que de trouver froideur et distance chez le vis-à-vis avec qui nous cherchons une réconciliation. Le cœur est atteint jusqu'aux profondeurs de ses profondeurs.  » « Si le printemps de l'Église ne peut pas naître dans l'immédiat, Dieu nous le donne au moins en nous-mêmes, Il ne refuse pas un printemps du cœur. » Paul VI :  « Je vous être digne de ces jeunes qui vont si loin dans l'engagement. […] Je voudrais être à la hauteur. […] Que puis-je pour eux ?  », frère Roger répond : « Très Saint Père, je vois en vous la trace de la sainteté du Christ. » De même qu'on ne saisit une personne que dans la globalité de sa vie, les paroles bibliques doivent l'être dans le contexte de toute l'écriture. « Chacun porte en lui-même un grand thème intérieur. Le laisser chanter et chanter encore. Inutile de chercher ailleurs. De là naît une création continue. »

Secret d'un bonheur

« Comment tenir face aux difficultés de l'existence ? En reprenant constamment une marche vers l'essentiel. Et l'essentiel passe toujours par le cœur ou, ce qui revient au même, par les profondeurs. Comment tenir ? En osant avancer après chaque découragement, après chaque échec. Non pas avec un cœur idéal, mais avec le cœur qu'on a. Non pas avec le cœur qu'on n'a pas : Dieu le changera. Le rayonnement de Dieu se manifeste à travers les vulnérabilités humaines. Quand l'être humain est sans solutions, il ne lui reste qu'à s'abandonner à Dieu, de corps et d'esprit. S'il n'était pas si démuni, il ne chercherait peut-être pas avec tant de passion une force créatrice en Dieu. Les fragilités rendent plus attentifs à autrui, plus aptes à créer avec d'autres. Les soi-disant forts s'enferment dans l'autoritarisme et immobilisent autour d'eux. Arrive un jour où transparaît le secret d'un bonheur : il n'est pas en dehors de nous, le Royaume est au-dedans.

Dans tout être humain sommeillent des régions peu atteignables. Elles font parfois mal. Elles sont comme un vaste univers animé par de multiples forces contradictoires, provenant peut-être d'une mémoire ancestrale, explicite ou non, et aussi de la mémoire de l'enfance. Ces courants contraires peuvent enfermer dans des prisons intérieures. Visiter ces prisons, en présence du Christ, dans un pèlerinage intérieur de toute une vie, et voilà que des murailles s'écroulent. À leur place s'étendent des espaces de liberté. Surprise ! Tout un univers de tourments s'est dissipé. Pourquoi se troubler d'un déluge de larmes intérieures ? Il se trouvera toujours une arche de Noé sur les eaux, pour chanter le Dieu vivant. L'être humain s'arrête aux apparences. Dieu regarde non à la surface, mais au cœur. Il donne de discerner, au-delà des contradictions, le secret d'un bonheur. 

T'attendre, toi le Christ, avec la Vierge Marie et les apôtres, t'attendre quand tout est plongé dans le silence de Dieu, t'attendre et découvrir à tout âge, au creux de soi-même, la fraîcheur d'une source; ta confiance, et l'esprit de simplicité. Pour chacun de nous, tu n'as pas d'autre langage : «  Regarde, je suis là, au cœur de ta solitude comme aux moments de joie sereine. Regarde, toi qui m'attends et me cherches. Je suis là. Pourquoi en douter ? Déjà je t'ai rencontré. »


Face au rejet ou à la rupture d'un amour le cœur peut s'endurcir, surgit l'antidote : s'aimer soi-même - de l'humiliation non assumé iniassent l'orgueil de la vie et l'ambition humaine. Le Christ souffre et aime. Une mère de famille racontait (en 1947) avoir vu une croix se dresser sur la colline, à un endroit précis, qui se révèle être celui choisi sans le savoir par les frères qui, contrairement au frère Roger, la souhaitait plus éloignée de leur habitation commune. Protestation du frère Roger au président du Salvador contre l'assassinat du Père Alfonso Navarro et la campagne de diffamation contre l'Église catholique. « Qui se regarde soi-même ne peut que sombrer dans la mélancolie. Ouvrir les yeux sur la création autour de soi, et déjà se dissipent des ombres. » « Aux Italiens tant aimés, je tiens à dire que Dieu a déposé dans l'Église catholique une vocation à être ferment de communion dans l'humanité entière. Si proches de Rome, sont-ils conscients que leur attention au ministère de l'universalité de l'évêque de Rome a des conséquences lointaines ? » « Le Christ a confié l'Église à Pierre. » Le pasteur universel son successeur est le pasteur même de ceux qui ne comprennent pas son ministère, il doit actualiser une pastorale œcuménique. Parole d'une mère, image du bonheur de vivre, à Pescara, en milieu ouvrier : «  Rien n'est plus beau que le jour de ma mort, je reposerai en Dieu dans l'éternité. » Les jeunes viennent par soif du Dieu vivant, pour se ramasser en eux-mêmes, s'interroger dans le silence intérieur, en vue de chercher à suivre le Christ.

Un rayonnement de la face de Dieu.

« Toi, le Dieu de tous les humains, depuis la nuit des âges, par ton Esprit, tu as gravé en chacun une loi d'amour. Mais ils sont peu nombreux ceux qui saisissent qu'à ton image tu les as créés libres pour aimer. Toi, le Dieu vivant, pour essayer de te faire comprendre, par le Christ Jésus tu es venu sur la terre comme un pauvre. Et ce Jésus, rejeté, torturé sur une croix, couché mort dans un tombeau, tu l'as ressuscité. Personne ne peut comprendre la mort de Jésus sans le saisir d'abord comme Ressuscité. Alors, en un éclair, se pressent le mystère : « Toi, le Christ, à tes disciples comme à nous-mêmes, tu poses la question : pour vous qui suis-je ? Tu es le Vivant. Ressuscité, te voilà en agonie avec qui est dans l'épreuve. Ton Esprit habite qui connaît la souffrance humaine. À chacun tu adresses un appel à te suivre. Te suivre suppose chaque jour de prendre notre croix. Mais toi, tu descends là où nous sommes, jusqu'au plus bas, pour te charger de ce qui nous charge. Tu te tiens auprès de chacun. Tu vas jusqu'à visiter ceux qui sont morts sans avoir pu te connaître. (1 P 3 19-20)

La contemplation de ta miséricorde sans fin devient un rayonnement de bonté dans l'humble cœur qui se laisse conduire par l'Esprit. » Que, par le Christ, Dieu se fasse tellement universel dépasse de loin la compréhension de l'intelligence humaine. Face à la grandeur du mystère, déjà un croyant de l'Évangile s'écriait : « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon peu de foi. » Et ce peu de foi, ce très peu que chacun découvre jour après jour, voilà qui suffit pour avancer à la suite du Ressuscité. Qui veut suivre le Christ lui donne sa confiance, dans les jours où le cœur est comblé, comme aux moments où il crie de solitude. « Si tu n'étais pas ressuscité, Seigneur Christ, à qui irions-nous pour découvrir un rayonnement de la face de Dieu ? Si tu n'étais pas ressuscité, nous ne serions pas ensemble à chercher ta communion. Nous ne trouverions pas auprès de toi le pardon, la réconciliation, ces sources d'un recommencement. Si tu n'étais pas ressuscité, où puiserions-nous les énergies pour te suivre jusqu'au bout de l'existence, te choisir encore et à nouveau jusqu'à la vieillesse ? »



« Choisir le Christ ! Il place devant une alternative : « Qui veut sauver sa vie la perdra, qui donnera sa vie pour l'amour de moi la retrouvera. » Mais il n'impose pas le choix. Il laisse chacun libre de le choisir ou de le rejeter. Il ne contraint jamais. Simplement, depuis deux mille ans, doux et humble de cœur, il se tient à la porte de tout cœur humain et il frappe : «  M'aimes-tu ? » Quand il semble que disparaît la capacité de lui répondre, il reste à l'appeler : « Donne-moi de me donner, de me reposer en toi, le Christ, de corps et d'esprit. » Choisir le Christ suppose de marcher sur une seule voie, non pas sur deux à la fois. Qui voudrait en même temps le suivre et se suivre soi-même se mettrait à suivre sa propre ombre, dans la poursuite du prestige humain ou de la considération sociale. Pour se servir soi-même, irait-il à son insu jusqu'à instrumentaliser le Christ et cette communion qu'est l'Église ? Regarder en arrière, après avoir consenti à l'appel, ne laisse pas indemne. Le regret nourrit inquiétude et révolte contre soi-même. Comme des vagues, elles finissent par passer la digue de soi-même et se dirigent contre les autres. Quels ravages ! Pour qui tente de fuir la voie, rien de plus essentiel que d'être écouté. Ne point garder pour soi-même ce qui blesse les profondeurs, ne pas demeurer comme un demi-mort. Oser tout exprimer à une autre personne qui, ayant su traverser les épreuves et exercer l'intuition, parvient à lire sous le cœur, sans jugement. Revient le jour où murmurer : « Aspirant à ne vivre que de l'unique essentiel, je me souviens de toi, le Ressuscité. Mon cœur, mon esprit, mon corps, sont comme des terres assoiffées de toi. T'ayant oublié, j'avais continué à t'aimer. Et toi tu répands un amour qui s'appelle pardon, tu fais de moi un vivant. » »

Partir sans projet autre que de vivre avec les plus pauvres et comprendre une parole de Dieu à travers eux. Les Petites Sœurs de Jésus dans un quartier flottant de Hong-Kong : conditions de vie plus rudes encore qu'à Calcutta, mais pas de rupture entre la prière et les activités; charivari des rats… «  Entourés de non-croyants, tout nous dit : partout où il y a un être humain, Dieu est présent. L'Église est tellement plus vaste que l'esprit humain ne peut l'imaginer. Dans le cœur de Dieu, elle est vaste comme l'humanité. » Le meilleur de la pastorale se vit dans les dialogues face à face. « Plus grandit l'exigence de la prière, plus elle conduit à s'insérer dans les situations graves de l'humanité. » La grand-mère du frère Roger recevait, durant la première guerre, vieillards, enfants, femmes enceintes, sous son toit, et n'est partie qu'à la dernière minute, quand tous ont dû fuir. De vieille souche protestante, habitée du profond désir qu'au moins les chrétiens se réconcilient, elle fréquenta une Église catholique, « comme si elle avait pressenti que, dans l'Église catholique, l'Eucharistie était une source d'unanimité de la foi. » Le tout sans être un symbole de reniement vis-à-vis des siens. « L'intuition de ma grand-mère a dû me donner dès l'enfance une âme catholique. À Taizé, j'ai l'impression d'avoir poursuivi le chemin ouvert par cette vieille femme et, à sa suite, sans pour autant être symbole de reniement pour quiconque, j'ai trouvé ma propre identité en réconciliant en mes profondeurs le courant de foi de mes origines avec la foi de l'Église catholique. » Les fidélités laissent des traces dont on ne voit pas de son vivant les conséquences.

La réconciliation ne supporte pas de retard.

Se réconcilier non pas pour être plus forts contre quiconque, jamais en esprit de croisade, mais pour être ferment de confiance auprès de croyants comme de non-croyants. Pourquoi cette inconséquence parmi les chrétiens, séparés non seulement par d'anciennes mais par de toutes nouvelles divisions ? Oseraient-ils perdre, dans les affrontements, ne serait-ce qu'une minute, quand la violence et les bruits de guerre s'étendent sur le monde ? Dans la famille chrétienne, le Christ est écartelé. L'Évangile est désintéressement à l'état pur. Il n'appelle pas les chrétiens à faire des « adeptes », mais à être des membres du Corps du Christ. Les séparations confessionnelles inclinent les chrétiens à être partisans, voire même « patriotes » de leur confession. Une réconciliation peut seule résoudre une crise latente, permettre un réveil et un printemps de l'Église. Dans d'autres périodes sombres de l'histoire, pour combler les fissures, des chrétiens ont su se visiter. Des peintures murales attestent qu'aux moments difficiles du XIIIè siècle, des chrétiens au Sud de l'Europe se rendaient jusqu'en Finlande. À quelques-uns ils réalisaient comme de petits pèlerinages, de personne à personne, de groupe à groupe. »


« Anticiper est une expression de l'espérance : vivre déjà ce que l'on espère. Rien ne donne davantage un cœur attentif et jeune, jusqu'au soir de la vie. » Pour anticiper une réconciliation, d'abord assumer en soi-même le meilleur des dons déposés par Jésus-Christ au cours de l'histoire. Le meilleur des Églises orthodoxes : se confier à l'Esprit du Ressuscité, qui apparaît dans la liturgie au point que des non-croyants le pressentent. Le meilleur des Églises issues de la Réforme : faire confiance à la mise en pratique de la Parole dans la vie personnelle, suscitant une prière spontanée. Le meilleur des dons de l'Église catholique : l'irremplaçable présence du Christ ressuscité dans l'Eucharistie, le pardon donné à la source de la réconciliation. « Puisant dans la Parole de Dieu une certitude confirmée par les siècles, l'Église catholique est avant tout l'Église de l'Eucharistie. Dans l'Eucharistie, source d'unanimité d'une même foi, un souffle de continuité permet de traverser jusqu'aux épreuves les plus lourdes de l'histoire. Et l'Eucharistie ouvre à une vision mystique de l'Église, elle peut même donner une vision mystique de l'être humain. »

« Toi, le Dieu de tous les peuples de la terre, en ton Christ, tu réconcilies tout avec toi, au point que rien n'est grave si ce n'est de perdre l'esprit de pardon. Seigneur Christ, en ta présence, nous sommes parfois pris au dépourvu : tu demeures en nous, et nous demeurons en toi. Viens, Esprit du Ressuscité, dans les jours où la réconciliation suppose une épreuve intérieure. Viens chanter au-dedans de nous, et nous soulever par ta confiance en nous. »


En Asie, «  nous avons découvert que dormir en dortoir pouvait être une veille avec le Christ. » « Les silencieux ou les timides ne sont point des absents, ce sont parfois eux qui inspirent le plus. » Nous n'irions pas aussi loin sur les continents si nous n'avions nos racines dans un lieu où l'on peut approfondir notre amour. « Certitude des certitudes : là où il y a le pardon, il y a toujours Dieu. » « Comment se mêler à la pâte de l'humanité sans se séculariser au point de ne plus être porteurs des signes du Christ ? Ces dernières années, des chrétiens ont cru devoir, pour s'intégrer à une communauté humaine, abandonner les signes visibles d'Évangile. Bien souvent la prière s'en est allée peu à peu. »

« Quand l'homme humilié en toi voudrait secouer tout ce qu'il considère comme un poids, n'oublie pas que ce poids peut être le joug aisé du Christ, son bras passé sur ton épaule. Quand l'étreinte d'une révolte te désespère au point d'abandonner ce Christ qui t'a appelé une fois pour toutes, rejoins l'oasis intérieure, le lieu de solitude en toi-même, il t'y redit inlassablement le même appel. De toi, il demande beaucoup, lui qui t'a comblé de dons. Ne jette pas ces perles précieuses en perdant tes énergies à savoir qui a eu tort ou raison. Que ta vie soit une réponse d'émerveillement pour ce qu'il a déposé en toi. »

Lettre significative : « Mes parents étant athées, je n'ai jamais eu l'occasion de me poser de questions sur la foi jusqu'à treize ou quatorze ans. Aujourd'hui je me pose des questions. J'ai lu la Bible mais elle ne m'a point convaincu. Je suis allé deux ou trois fois à la messe et c'est là que j'ai été le plus ému de ma vie. Il m'a semblé que j'étais touché par la grâce de Dieu. À partir de ce moment-là, j'ai commencé à croire et, un jour, j'ai éprouvé le besoin de rencontrer quelqu'un qui me fasse comprendre la foi. » «  Voilà que, pour eux, l'Eucharistie n'est pas l'aboutissement de leur cheminement de foi, mais le commencement. » Une vocation ne peut être que radicale. Les jeunes restent de plus en plus longtemps, dès avant la prière, et jusque tard dans la nuit. À Bari, le soir, nous retenons une centaine de personnes du quartier, quitte à n'avoir à offrir qu'un peu de pâtes, un morceau de pain, une demi-pomme.


Réanimer de l'intérieur

« Que de fois, dans les dialogues quotidiens avec des jeunes de divers pays, revient cette même question : « Pourquoi aimez-vous l'Église, ses structures qui nous font si mal ? » Ceux qui parfois souffrent de l'Église devraient-ils la fuir ? Mais fuir le Corps du Christ ne conduit-il pas du même coup à abandonner le Ressuscité sur le bord du chemin ? Se tenir à l'intérieur, avec un infini courage, n'est-ce pas la voie pour transformer les structures endurcies ? Un chrétien du premier siècle avait saisi qu'une réalité fondamentale, qui finit par tout entraîner, était la communion dans le Corps du Christ. « La réalité, c'est le Corps du Christ, écrit Paul aux Colossiens, …et que personne n'aille vous en frustrer. » Pourquoi l'aimons-nous à ce point, cette communion ? Quand elle est rayonnante, elle rend visible le visage même du Christ. Elle n'est pas là pour les seuls croyants, mais pour tous les humains. En elle s'engendrent la bonté, l'esprit de miséricorde. À travers elle sont soulevés non seulement l'espérance du Christ, mais aussi le bel espoir humain. Ces dernières années, dans les sociétés contemporaines toujours plus anonymes, de multiples petits groupes de chrétiens ont surgi. Ils sont comme un antidote à un monde sécularisé. Avec une fraîcheur d'Évangile, un fossé s'y comble entre la foi et la vie. Des formes d'engagement adaptées à un monde en rapide mutation y sont découvertes. Une grande fragilité va de pair avec ces petites communautés, à cause du provisoire de leur existence. Pour durer, certaines d'entre elles se muent en cercles exclusifs, avec des options qui les coupent de tous côtés. Pourvu qu'à quelques-uns on se sente bien ensemble, on se laisse couler dans n'importe quel moule, si ésotériques en soient les formes. Quand les chrétiens se fractionnent jusqu'à l'atomisation, que devient la communion dans le Corps du Christ ? Par ailleurs, les grandes communautés qu'on appelle «  paroisses » ne soulèvent pas nécessairement l'enthousiasme. Parcourant les continents, force est de con stater que, pour prier, l'ensemble des chrétiens se tient habituellement dans ces grandes communautés locales. Mais les jeunes, en particulier, y sont mal à l'aise quand leurs aspirations ne sont pas reconnues et qu'ils ne trouvent pas à y engager leurs énergies. Ils s'ennuient dans les églises, et l'ennui est une souffrance spirituelle. Ne serions-nous pas dans une période d'enfantement et de maturation de la prière commune ? Si, dans les églises, l'abondance des paroles est une source de fatigue, on se mettra à y prier surtout en chantant. Si des jeunes pouvaient se joindre, au moins chaque semaine, à l'Eucharistie dominicale, et la prolonger par la prière du chant, déjà ils y créeraient un espace d'adoration. »

« Que nous demandes-tu, toi le Christ ? Avant tout de porter les fardeaux les uns des autres, et te les confier dans notre prière toujours pauvre. Qui dépose en toi ses fardeaux, tu l'accueilles, et c'est comme si, à tout moment, en tout lieu, tu le recevais dans la maison de Nazareth. En qui se laisse accueillir par toi, le serviteur souffrant, le regard intérieur perçoit, au -delà de ses propres confusions, un reflet du Christ de gloire, le Ressuscité. Et l'être humain est rendu vivant, chaque fois que tu le visites par l'Esprit Saint Consolateur. »




La petite Françoise :  « Quand on est tout près de l'autel, on sent tellement de choses. » L'ensemble de la salutation aux icônes, des signes de croix et des prostrations dans une église russe est comme l'imploration d'un peuple contemplatif. À des futurs prêtres : « Plus vous cheminerez avec le Christ, plus vous serez menés sur la montagne de la tentation. Lui-même y a été. Plus nous approchons invisiblement de l'agonie du Christ, plus nous portons en nous un reflet du Ressuscité. » Armin : comme, dans la course des huit cents mètres, on suit de près l'entraîneur pour les derniers deux cents mètres, « je veille à ce qu'il n'y ait jamais d'espace entre le Christ qui me précède et moi-même. » « Accompagner ainsi le Ressuscité qui continue à être en agonie pour ceux qui connaissent l'épreuve à travers la terre. » Mort de Paul VI : « Quoique âgé, il y avait en lui une passion mystique pour le devenir de l'humanité. Chaque fois que je lui ai parlé des jeunes, son attention s'est faite vive. Il comprenait leur recherche. Pas de mises en garde. Il exprimait sa confiance. En 1969, face à l'idée de proposer un «  concile des jeunes », il a répété deux fois : mettez-le sur les rails. Il a reçu des notes nous concernant, elles n'étaient pas toujours favorables, il est demeuré confiant. » Deux jeunes qui savent ce que c'est qu'être interrogés par la police : « Si nous avons peur, tout est perdu; la liberté intérieure, personne ne nous l'arrachera, ni les interrogatoires, ni la prison. »

Réponse à une question de la télévision italienne : « J'aimerais assister dans le ciel à la rencontre du pape Jean XXIII et du pape Paul VI. Ces deux hommes se complètent tellement qu'ils donneraient déjà quelque chose de l'image du pape que nous attendons. À Taizé nous aimerions que le pape soit tellement le père de tous, tellement universel, qu'il ne se laisse pas emprisonner par les fortes résistances, ni par les divisions anciennes des chrétiens à travers le monde, ni par les nouvelles divisions. Qu'il cherche à être tellement le père de tous qu'en lui nous reconnaissions facilement un reflet du visage de Dieu. Que par sa vie il éveille à Dieu le plus grand nombre d'hommes possibles sur la terre. Comment le pape peut-il assurer dans la nouvelle génération la vie du Christ, la continuité du Christ qui passe dans l'histoire ? Comment pour lui ne pas se laisser trop impressionner par ceux qui, ne pouvant pas comprendre un homme tourné vers le devenir de l'humanité, risquent de le retenir par ses manches et par sa soutane en lui disant « arrêtez-vous ici, immobilisez-vous, n'allez pas plus loin. » Assurer les continuités du Christ, c'est les vivre dans la grande tradition vivante de l'Église et rejoindre aussi par là les vieux, ceux qui ont reçu une autre formation dans leur jeunesse. Si on suivait simplement les courants des nouvelles générations, on créerait une ségrégation et le pape ne serait plus le père de tous. J'attends du pape qu'il laisse vivre en lui comme un appel mystique, un homme tourné vers le devenir des humains tout en étant tellement conscient qu'il assure les continuités du Christ à travers une longue tradition de l'Église. Si j'aime tant l'Église catholique, c'est qu'elle a été d'abord, à travers toute son histoire, même avec les papes les plus difficiles du temps de la Réforme, les Borgia, l'Église de l'Eucharistie, elle a fait de l'Eucharistie une source d'unanimité de la foi jusqu'à aujourd'hui. » (écrit le 18 août 1978)
Comme la Vierge Marie, ne pas garder le Christ pour nous mais l'offrir au monde.


En chacun, un don unique

« Comme tout un chacun, Jésus avait besoin d'entendre une voix humaine lui dire : « Tu sais bien que je t'aime. » Par trois fois, il a insisté auprès de Pierre : « M'aimes-tu ? » Assuré de l'amour de Pierre, Jésus lui a confié l'Église : « Prends soin de mes brebis. » Aimer le Christ, c'est aussitôt recevoir de lui une part, plus ou moins grande, de don pastoral. À chacun Dieu confie une ou quelques personnes. Ce don pastoral, si petit soit-il, est une source où puiser les inspirations pour transmettre le Christ et lui permettre d'accomplir son pèlerinage dans toute la famille humaine. Les enfants eux-mêmes, sans le savoir, laissent passer une image du Dieu vivant. Exercer ce don pastoral signifie écouter avant tout. Écouter en l'autre ce qui lui fait mal de lui-même. Chercher à comprendre ce qui est sous le cœur de l'autre jusqu'à ce que, même dans une terre labourée d'épreuves, il perçoive l'espérance de Dieu, ou tout au moins l'esprit humain. Et il arrive souvent que, accompagnant un autre, celui qui écoute soit lui-même conduit à l'essentiel, sans que le vis-à-vis ne s'en doute. Vieillir. Exercer l'intuition tout au long d'une vie d'écoute. Et finir par comprendre, presque sans paroles, qui vient se confier. Écouter peut apporter une vision mystique de l'être humain, cet être qu'habitent à la fois la fragilité et le rayonnement, l'abîme et la plénitude.

En chacun, une part de cœur pastoral. En chaque personne des dons uniques. Pourquoi douter tellement de ses dons ? Pourquoi, se comparant aux autres, souhaiter avoir leurs dons et aller jusqu'à enfouir les siens propres ? Une ère de technicité intensifie aujourd'hui un sens aigu de la réussite et de l'échec. Le goût du carriérisme et celui de la comparaison sont insufflés dès l'enfance : qui ne réussit pas selon les normes de la société se sent condamner et regrette de ne pas avoir les dons de l'autre. La comparaison stérilise. Souhaiter avoir les capacités de l'autre conduit à devenir incapable de découvrir ses propres dons. Se disqualifier soi-même et voilà qu'apparaissent tristesse et découragement. Perdre l'estime de soi-même, alors que l'Esprit de vie déverse en chacun des dons ? La perte de l'estime de soi-même étouffe l'être humain, elle ligote ses forces vives, elle va jusqu'à rendre impossible la création. Réagir alors en se surestimant soi-même, en cherchant par exemple la considération sociale, n'offre aucune issue. Se surestimer soi-même sous une pression sociale ou à cause des jugements d'un entourage, forçant artificiellement des dons, ce serait comme forcer une plante dans une serre chaude. Une voie d'Évangile où rencontrer le regard du Christ porte un nom : consentir. Consentir ses propres limites, celles de son intelligence, de sa foi, de ses capacités. Consentir aussi ses propres dons. Et naissent les fortes créations. »

« Seigneur Christ, viens par ton Esprit de vie, épanouir les dons déposés en chacun. Tu nous prends avec notre cœur tel qu'il est. Pourquoi attendrions-nous que ce cœur soit changé pour aller à toi ? Toi tu le changes. Et tu offres tout pour guérir les déchirures : la prière, les hymnes, le pardon, le printemps des réconciliations. »


Chaque frère est le maillon d'une chaîne sans fin. Ce que l'un ne peut faire l'autre l'accomplit. « élection de Jean-Paul II. Captivé par l'homme contemporain et tellement pastoral, il saura donner un souffle à l'universalité de l'Église. Lors de ses deux visites à Taizé, puis durant les trois jours passés chez lui à Cracovie, j'avais déjà pu apprécier ses dons. À Noël prochain, en rentrant d'Afrique, je souhaite aller le voir et lui dire : vous êtes si humain, si sensible; avec des jeunes, nous voudrions venir à Rome pour mieux porter votre ministère. » « En arrivant cet après-midi devant Jean-Paul II, je lui ai dit : « Loué soit Jésus-Christ de nous avoir donné un si bon pape ! » Il a répondu : « Frère Roger, venez souvent me voir ! » Après avoir parlé à l'ensemble des délégations venues à Rome pour le début de son ministère, il m'a encore interpellé : « Avant de nous séparer, nous allons nous donner la main les uns aux autres comme signe que nous voulons la réconciliation. Nous voulons la réconciliation, n'est-ce pas frère Roger ? » « Quand le tentateur souffle à l'oreille les « à quoi bon ? » qui font glisser sur le bord de la route, toujours se trouve un proche qui nous tire par la main. Et à notre tour, si un jour l'autre glisse, nous le sortirons de l'ornière. »

Le feu d'une passion de Dieu.


« À qui s'inquiète de sa pauvre prière je voudrais dire : La prière n'est pas une performance personnelle. Quand tu pries dans la solitude, il arrive que s'interposent comme des nuages entre Dieu et toi. Ces nuages portent des noms : révolte, frustration, sentiment d'être indigne ou incapable, perte de l'estime de toi-même. Tant de réalités subjectives peuvent dresser un barrage entre lui et toi. Si tu oublies sa présence, vas-tu perdre ton temps à gémir sur ton oubli ? Abandonne-toi plutôt à la confiance. Tu retrouves le Ressuscité partout, dans la rue, au travail, à l'église. Quels que soient ton âge et ta condition, comme un enfant tu peux tout lui dire, ce qui t'enferme, ce qui te blesse, ce qui charge beaucoup d'autres, auprès et au loin. Il déblayera le chemin. Tu ne t'ennuieras pas dans ce seul à seul.  Pour prier à tout moment, de jour comme de nuit, et même en plein travail, ose reprendre à l'infini des paroles ou des chants simples : « Jésus, ma joie, mon espérance et ma vie », « En toi, Jésus, joie, miséricorde, simplicité », « Mon âme se repose en toi sur Dieu seul », « Bleibet hier und wachet mit mir, wachet und betet » (« Restez ici et veillez avec moi, veillez et priez »), «  Nada te turbe, solo Dios basta » (« Que rien ne te trouble, Dieu seul suffit.  »). Quand, au désert de ton cœur, ne se trouvent que les silences de Dieu, interroge-toi. Est-ce le début d'un tournant pour reprendre la marche ? En Occident, où le cérébral prend une large place, une prière non explicitée par des mots n'en paraît pas une. Mais le désir de Dieu n'est-il pas une prière ? Il comprend ton intention, même quand tu penses ne pas savoir prier. Et s'il ne t'était plus possible de prier du tout, il resterait encore à te confier à la prière d'un autre, celle peut-être d'une personne parvenue au soir de sa vie.

Dans une civilisation technicisée, la rupture entre prière et travail est fréquente. Quand lutte et contemplation sont mises en concurrence, comme s'il fallait choisir l'une contre l'autre, cette opposition va jusqu'à écarteler le fond de l'être.
Une vie de communion à Dieu ne se réalise pas dans des rêves suspendus entre terre et ciel. Loin d'oublier autrui, elle s'enracine dans le concret des situations. Elle assume les contradictions de la condition humaine, comme celles des sociétés contemporaines, avec leurs dominantes : fascination des moyens de puissance, réussite à tout prix, doute ambiant avec lequel il faut bien compter.
Parfois, dans un désir compréhensible d'aller à la rencontre d'un monde sécularisé, des communautés locales, des groupes, ont cru devoir séculariser leurs célébrations elles-mêmes. Et voilà que ne sont plus atteintes les profondeurs de l'être humain. La prière commune ne peut pas être un monologue où, croyant parler à Dieu, chacun souhaite en réalité transmettre aux autres ses propres idées. La prière commune suppose que tous se tournent vers Dieu vivant, celui qui la préside comme les autres.
La prière est une force sereine qui travaille l'être humain, le remue, le laboure, ne le laisse pas s'assoupir ni fermer les yeux face au mal, aux guerres, à tout ce qui menace ou agresse les faibles de la terre.
Qui marche à la suite du Christ se tient à la fois auprès des êtres humains et de Dieu, il ne cherche pas à séparer prière et action. »

« Seigneur Christ, aurions-nous la foi jusqu'à transporter les montagnes, sans la charité brûlante, que serions-nous ? Toi, tu nous aimes. Sans ton Esprit qui habite en nos cœurs, que serions-nous ? Toi, tu nous aimes. En prenant tout sur toi, tu nous ouvres un chemin vers la paix de Dieu, lui qui ne veut ni la souffrance, ni la mort, ni la détresse humaine, mais redit inlassablement : « Mon amour pour toi ne s'en ira jamais. » »



« Quand la timidité empêche de demander pardon, pourquoi ne pas oser un geste tout simple qui se passe de paroles : tendre la main pour que l'autre y fasse le signe du pardon, le signe de la croix ? » Quand la capacité d'être d'exceptionnels réalisateurs et la veine mystique sont réunis dans une âme allemande, elle ne peut être que ferment de réconciliation parmi les humains. Visite à Soweto : nécessité de la force morale, du pardon. Se souvient de cet homme de Dieu africain rencontré à cinq ans, sa mère lui répétait depuis : « en Europe, la foi s'en va, mais d'Afrique reviendra l'Évangile dans sa fraîcheur. » Dans un village Masaï : « Les «  Petites Soeurs » se sont faites nomades avec les nomades. La femme a moins de peine que l'homme à durer dans un milieu si pauvre. L'homme est tellement pris aux entrailles par la détresse humaine que parfois il chavire. Ne sachant plus où il en est, il se lance dans des options multiples. La femme parvient mieux à pénétrer tous les milieux, elle est aussi mieux acceptée par les femmes et leurs maris, ce qui lui permet de tenir. » « Il y a de saintes femmes qui vivent de Dieu sans le savoir. » Un jeune : « Chez nous, nous sommes minés par les divisions tribales, et voilà que s'y ajoutent les divisions importées d'Europe au nom de la foi; au Kenya, il y a plus de trois cents petites Églises autonomes. » Nuit de Noël dans le mouroir des sœurs de mère Teresa à Addis-Adeba. « Accueil chaleureux de Jean-Paul II dans son appartement. Dieu a envoyé de Pologne un homme qui saura ouvrir des voies inattendues de réconciliation. Avec lui se vit l'inespéré. » Le peuple de Dieu va-t-il rester morcelé en factions opposés, à l'image de l'humanité, ou se réconciliera-t-il, et élargira-t-il sa solidarité avec tous les humains, partageant leurs souffrances et leurs joies ? Raconte à Saint-Sulpice son ultime entretien avec Jean XXIII (avec aussi Max et Alain) : l'Église est constituée de cercles concentriques toujours plus grands. « Quand vint le soir de la mort de Jean XXIII, ce fut comme si la terre s'ouvrait sous les pieds. Où allions-nous trouver dans l'Église un tel appui ? » « Dès la première fonte des neiges, j'essayais d'y deviner les signes avant-coureurs des éclosions printanières… Pour le chrétien, tout ne fait toujours que commencer. Il se tient à la genèse des situations, il est hommes ou femme des aurores, des perpétuelles découvertes. Il attend contre toute attente. Les premiers signes de vie sur terre remonteraient à quatre milliards d'années, les origines de l'être humain à quarante mille ans. Avec ses deux mille ans d'âge, l'Église a une courte histoire. Nous sommes dans l'enfance de l'Église, avec toutes ses maladresses et ses balbutiements. ».


Une enfance de l'église

« Des réalités du Royaume de Dieu le Christ dit : seul les comprend qui les accueille avec un cœur d'enfant. Dieu se fait accessible aux cœurs purs tout simples qui plongent dans sa confiance. Quand adultes ou vieux ont une âme d'enfant, ils sont à même d'être attentifs à une enfance de l'Église. Une enfance de l'Église dans l'aujourd'hui : non pas s'attarder à une nostalgie de l'Église des premier temps, mais éveiller, dans l'Église contemporaine, l'esprit d'enfance. Il est avant tout simplicité. Il est aussi confiance du cœur, étonnement. À travers lui se dissipent habileté manœuvrière et compromissions. Toute relation administrative se transfigure en démarche de communion; L'esprit d'enfance ne manipule ni ne récupère personne. Et l'Église, même accablée d'épreuves, ne se laisse plus enfermer dans la tristesse et la résignation. Non pas la résignation, mais la confiance. Non pas l'inertie, mais comme un lâcher prise intérieur : s'abandonner au Christ vivant, à son Esprit Saint. La confiance du cœur peut être entamée par les incompréhensions, elle s'épanouit dans d'incessants réenfantements. Si l'enfance n'a pas le monopole de la confiance, en elle se trouve une part d'innocence qui, blessée, marque l'existence. Tout s'est inscrit comme sur une plaque de cire encore molle. Pour Dieu, l'être humain est sacré, consacré, par l'innocence blessée de l'enfance. N'est-ce pas d'elle que la personne humaine tire des énergies pour créer, pour aimer ? N'en est-il pas de même pour cette communion qu'est l'Église ? Parfois l'âge adulte pense faire sérieux en jugeant les événement avec pessimisme. Il se vide de l'étonnement. Comment peut-il encore s'accorder avec les réalités d'Évangile ? L'esprit d'enfance est un regard limpide. Loin d'être simpliste, il est aussi lucide. Les aspects divers d'une situation, les éléments positifs comme les revers, ne lui sont pas étrangers. Il n'a rien d'infantile. Il est pétri de maturité. Il suppose un infini courage. L'esprit d'enfance ne se laisse pas arrêter par des structures durcies de l'Église. Il cherche à passer à traverse elles, comme au premier printemps l'eau du ruisseau trouve à se frayer un chemin à travers une terre gelée. »

« Toi le Christ, en nous offrant de vivre en réconciliés dans la communion de ton Corps, ton Église, tu nous arraches à l'isolement et nous donnes de prendre appui sur la foi de toute ton Église, depuis les premiers chrétiens, les apôtres, et Marie, jusqu'à ceux d'aujourd'hui. Sois remercié du reflet de ton visage, à travers tel enfant qui nous découvre ta mystérieuse présence. Elle nous ouvre aux réalités du Royaume, surabondance du cœur, simplicité, émerveillement, jubilation. »



Retour sur les sœurs qui accompagnent la communauté depuis plus de dix ans : Mère Marie-Tarcisius, un don irremplaçable d'écoute et d'intuition, l'incomparable expérience d'une communauté catholique créée voici sept cent cinquante ans. Marie Noël : « Les âmes les meilleures, les plus nourricières, sont faites de quelques grandes bontés rayonnantes et de mille petites misères obscures dont s'alimentent parfois leurs bontés, comme le blé qui vit de la pourriture du sol. » Pour porter du fruit, il est nécessaire d'allier à l'esprit d'enfance la plénitude donnée par les longues maturations. « Plus s'intensifie dans la prière des énergies créatrices, plus s'intensifie notre capacité de concrétiser un partage avec les humains. Nous participerions à de nouvelles séparations, si nous acceptions qu'il y ait une Église de jeunes, ou une Église de classes, ou une Église de pauvres, ou une Église de races, ou une Église des élites, intellectuelles ou autres. Dans l'histoire humaine, un partage des biens spirituels et matériels n'a jamais été plus urgent, ne serait-ce que pour la paix mondiale.

À nous de participer à une aspiration de tant de jeunes, habités jusqu'à l'angoisse par la recherche d'un partage avec les masses des pauvres. À nous d'accompagner ces jeunes qui, sinon, face à une absence de réponse concrète de notre part, entrent soit dans le désespoir de la résignation, soit dans cet autre désespoir de la violence ou d'un doctrinarisme du partage. Si nous tous qui avons des responsabilités, nous nous décidions à préparer un plan de trois ou quatre ans, en vue d'abandonner tous les biens non indispensables au ministère, alors notre engagement concret gagnerait en crédibilité. Bien sûr, le partage des biens ne conduit pas à une austérité puritaine, celle-ci déshumanise et fait pression en donnant mauvaise conscience. Partager ne peut pas faire oublier de tout disposer dans la beauté simple de la création… et l'art lui-même est un don de Dieu. ».


Prendre des risques pour la paix mondiale

« Dans l'Évangile, la paix porte le nom grave de réconciliation. Ce nom engage et conduit très loin. Se réconcilier, c'est commencer une relation neuve, c'est un printemps de notre être. Ce qui est vrai entre personnes l'est aussi entre nations. Quel printemps serait une réconciliation des peuples, particulièrement entre l'Est et l'Ouest. » Les jeunes attendent l'abaissement des frontières, cherchant la paix, refusant les égoïsmes sacrés, conscients de la première condition de la paix mondiale : la juste répartition des biens entre tous. Ne pas humilier un peuple dont les dirigeants ont commis des actes inhumains. Lutter non avec les armes de la puissance, mais avec un cœur pacifié. « La paix commence en soi-même. » aimer l'ennemi demande l'acquisition d'une maturité évangélique, qui requiert la traversée de déserts intérieurs.

« Seigneur Christ, nous sommes parfois étrangers sur la terre, déconcertés par les violences, les duretés d'oppositions. Comme une brise légère, tu souffles sur nous l'Esprit de paix. Transfigure les déserts de nos doutes pour nous préparer à être porteurs de réconciliation là où tu nous places, jusqu'à ce que se lève une espérance de paix parmi les humains. »


« La foi des humbles, des cachés, est une perle d'Évangile, même si son expression est peu accessible aux élites. Si, par purisme, la ferveur des humbles est rejetée, un vide se crée que rien ne vient combler. Reste une terre brûlée. » « Aimer tout autant les « intégristes » que les «  progressistes ». Surtout ne pas les renvoyer dos à dos, ce serait le chemin du juste milieu qui ferait de nous des justes pleins de suffisance, non pas des pauvres de la maison de Dieu. » « Personne ne peut vivre la profondeur sans l'ouverture, et réciproquement.  Si on veut atteindre la profondeur seulement, c'est bon, mais on ne réalisera pas toutes les capacités d'universalité présentes dans le cœur humain. Si on cherche l'ouverture seulement, c'est important, mais, si primordiale soit-elle, elle peut allumer des feux d'artifice qui, à la durée, deviennent aveuglants. Pas d‘ouverture sans profondeur. Pas de profondeur sans ouverture. Ceux qui sont attirés par l'ouverture iront-ils visiter ceux qui sont attachés surtout à la profondeur, et réciproquement, pour tenter de se comprendre. » « L'homme ne se charpente, l'unité de la personne ne s'édifie qu'à partir du choix de références auxquelles revenir constamment. »

Sans regarder en arrière, suivre le Christ - Itinéraire d'un pèlerin (Chili, 1979)

Toi qui, sans regarder en arrière, veux suivre le Christ, dans l'instant même, et encore dans l'instant, tourne-toi vers Dieu et fais confiance à l'Évangile. Là tu puises aux sources de la jubilation.
Tu penses ne pas savoir prier. Pourtant le Christ ressuscité est là, il t'aime avant que tu ne l'aimes. Par « son Esprit qui habite en nos coeurs », il intercède en toi plus que tu ne le supposes.
Même sans le reconnaître, sache l'attendre avec ou sans paroles, dans de longs silences ou rien ne semble se passer. Là se dissolvent les obsédants découragements et surgissent les élans créateurs. Rien ne se construit en toi sans cette aventure : le trouver dans le seul à seul, ce que personne ne peut vivre pour toi.
Quand tu comprends peu ce qu'Il veut de toi, dis-le Lui. En plein milieu des activités quotidiennes, dans l'instant, dis-lui tout, même l'insupportable. Ne te compare pas aux autres, et à ce dont-ils sont capables. Pourquoi t'épuiser dans le regret de tes impossibilités ? Aurais-tu oublié Dieu ? Tourne-toi vers Lui. Quoi qu'il arrive, ose de continuels recommencements. Si tu en venais à t'accuser de tout ce qui t'habite, tes jours et tes nuits ne suffiraient pas. Il y a mieux à vivre : dans l'instant, célèbre avec Dieu le pardon, malgré les résistances à se croire pardonné, et par Dieu et par les autres.
Quand surgissent l'épreuve intérieure ou les incompréhensions du dehors, rappelle-toi que, dans la même blessure où s'engouffrent les affres d'inquiétude, là aussi s'élaborent les énergies pour aimer.
Si tu chemines dans le brouillard, L'attendre, Lui, le Christ, c'est Lui laisser le temps de mettre chaque chose à sa place… Au désert de ton cœur jaillira une source d'allégresse. Non pas l'euphorie, non pas n'importe quelle joie, mais cette jubilation qui vient tout droit des sources d'éternité.

Toi qui, sans regarder en arrière, veux suivre le Christ, prépare-toi, dans une vie toute simple, à lutter avec un cœur réconcilié. Là où tu es placé, ne redoute pas la lutte pour les opprimés, croyants ou non. La recherche de la justice fait appel à une vie de solidarité concrète avec les plus pauvres… à elle seule, la parole peut devenir une drogue. Quoi qu'il t'en coûte, prépare-toi aussi à la lutte en toi-même, pour être trouvé fidèle au Christ jusqu'à la mort. Par cette continuité de toute une existence se construit en toi une unité intérieure qui permet de tout traverser.
Lutter avec un cœur réconcilié suppose de se tenir au milieu des plus fortes tensions. Loin d'étouffer tes énergies, une telle lutte t'appelle à rassembler toutes tes forces vives.
Tes intentions seront peut-être défigurées. En refusant de pardonner, en refusant la réconciliation, que reflètes-tu du Christ ? Sans une prière pour l'opposant, quelle ténèbre en toi. Si tu perds la miséricorde, tu as tout perdu.
Seul, tu ne peux pas grand-chose pour l'autre. Mais ensemble, en communauté, traversé par le souffle de l'amour du Christ, s'ouvre ce passage qui va de l'aridité à la création commune. Et quand une communauté est ferment de réconciliation dans cette communion qui est l'Église, l'impossible devient possible.
Tu cherches à être levain dans la pâte, tu cherches à aimer l'Église, et tu te heurtes si souvent à des divisions internes qui vont jusqu'à écarteler le Corps du Christ, son Église. Ce qui marque les chercheurs de réconciliation, c'est qu'à la suite du Christ, ils désirent plus accomplir qu'abolir, plus comprendre qu'exhorter. Ils se tiennent à l'intérieur, jusqu'à ce que se transfigurent les fragilités mêmes de l'Église.
Face aux divisions et aux rivalités qui immobilisent, rien de plus essentiel que de se mettre en marche pour se visiter, s'écouter les uns les autres, et célébrer ensemble le mystère pascal.
Quand la peur d'être critiqué surgit, ta réaction spontanée, pour te protéger, peut être de prendre les devants en critiquant le premier; userais-tu de l'arme si peu évangélique de la mauvaise conscience pour obtenir quelque chose de ton vis-à-vis. Cherche à comprendre l'autre dans cette essentielle confiance du cœur, l'intelligence elle, suivra.
Loin d'allumer des feux de paille, donne ta vie jusqu'au bout, elle deviendra jour après jour création avec Dieu. Plus tu avances dans une communion avec le Christ, plus tu es poussé à réaliser dans le concret.

Toi qui, sans regarder en arrière, veut suivre le Christ, rappelle-toi que marcher à sa suite, ce n'est jamais te suivre toi-même. Il est le chemin, et sur ce chemin tu seras entraîné irrésistiblement à une vie toute simple, une vie de partage.
L'Évangile t'amène à tout quitter. Mais te quitter, ce n'est jamais te détruire toi-même, c'est choisir Dieu comme premier amour. Simplifier et partager, ce n'est pas opter pour l'austérité ou cette suffisance qui pèse sur les autres, et pas davantage exalter l'angoissante pauvreté.
Simplifier pour vivre intensément, dans l'instant : tu y trouveras le goût de la vie, tellement lié au goût du Dieu vivant. Simplifier et partager, c'est s'identifier au Christ Jésus né pauvre parmi les pauvres.
Si simplifier ton existence venait à activer une mauvaise conscience du jamais atteint, alors, fais une pause, interroge-toi : la jubilation, non pas les gémissements, que tout devienne festif autour de toi. Ce peu que tu as, dispose-le avec imagination pour égayer la monotonie des jours. 
Il faut si peu pour vivre, si peu pour accueillir. Quand tu ouvres ta demeure, l'abondance des biens retient plus qu'elle épanouit la communion humaine. Se surmener en vue d'apporter une aisance aux siens risque de les placer dans une relation de dépendance.
Ne te mets pas en souci si tu as très peu à partager : une foi si petite, peu de biens. Dans le partage de ce peu, Dieu t'offre une surabondance, intarissablement. »



Citations





Ad majorem Dei gloriam