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Lutte et contemplation (journal 1970-1972, publié en 1973)

« Aujourd’hui, le chrétien ne peut pas rester dans les arrière-gardes de l’humanité et leurs vains combats. Il ne va pas s’y laisser enlisé.
Dans la lutte pour que se fasse entendre la voix des clandestins, la voix des hommes sans voix, dans la lutte pour la libération de tout être humain, sa place est aux premières lignes.
Tout en même temps, le chrétien, même environné des silences de Dieu, pressent cette réalité essentielle : la lutte pour et avec l’homme trouve sa source dans une autre lutte, toujours plus inscrite au creux de lui-même, en ce lieu où personne ne ressemble à personne. Là il touche aux portes de la contemplation.
Lutte et contemplation : serions-nous conduits à situer notre existence entière entre ces deux pôles ? »



Le concile des jeunes est annoncé, nos ancres sont coupées. La citronnelle est en boutons, prête à éclater. Malgré le ciel bas, la terre chante. Préparer ce concile ne peut qu’être une traversée du désert. « Quand il souffre le cœur se sauve, il recommence à vivre. » (Unamuno) L’Évangile jamais ne conduit à la tranquillité. La réconciliation avec soi-même et les autres suppose de consentir aux tensions, à la lutte. Évitons l’amertume et le scepticisme, ces formes d’autodestruction. « Suivre le Christ… Dans nos sociétés de consommation, cela devient héroïque. » Dom Helder Camara : «  Roger, je crains votre mort pour la communauté. […] Il y a, dans les pays d’Europe, de vastes îlots de pauvreté. Le Tiers Monde est aussi chez vous en Europe, ces émigrés qui cherchent du travail, qui sont plus ou moins bien accueillis, qui logent dans des conditions souvent misérables. Vous, les Européens, qui parlez volontiers du développement du Tiers Monde, n’oubliez pas vos propres problèmes de développement. En ne travaillant pas à une solution chez vous, vous justifiez chez nous le déséquilibre de la misère. » Frère Roger, de Dom Helder : « Toutes les conférences qu’il a prononcées pendant le concile, je crois qu’il les a ainsi lues au préalable à notre table. » En communauté, nous acquérons une culture les uns par les autres, nous enrichissant par osmose en nous intéressant au travail des autres. «  L’homme jaloux n’ose pas croire qu’il est complémentaire de l’autre. Il préfère le copier et ces imitations-là sont toujours caricaturales. » À la suite du Christ, tenter de comprendre tout l’homme. Bien souvent des pasteurs protestants ont tenté de décourager, au nom de la Réforme, Roger et ses frères de l’engagement à vie. La liberté se paye cher : Taizé refuse les dons offrant de quoi payer les multiples voyages de jeunes se rendant visite.


Un oui qui reste oui

Une fois encore, un homme de quarante-cinq ans me tient ce langage devenu courant : « Quand je me suis marié, j’ai été conditionné, je manquais de recul et de lucidité; aujourd’hui j’ai trouvé la femme de ma vie. » Bien sûr, à vingt-trois ans, cet homme n’avait pas toute la clairvoyance. Mais à quel âge l’aura-t-il ?
Impossible de faire un choix sans renoncer pour toujours à d’autres options. Autrement nous voilà des velléitaires : nous voulons bien dire oui, mais dans l’instantané, sans continuité
Le oui du mariage - comme celui du célibat pour l’Évangile - nous place sur une arête. C’est que l’homme global est concerné, avec son corps et avec toutes ses ressources intérieures,intelligence, sensibilité, affectivité, imagination.
Renonçant à regarder en arrière, celui qui prononce ce oui dit et redit au Christ, sa vie durant : « Je te fais confiance, je te crois sur parole. » Attendre une totale lucidité pour dire un oui qui reste oui, n’est-ce pas s’exposer à n’avoir plus que des restes à offrirBR>
Une fois prononcé, le oui est le pivot autour duquel s’élabore une créativité continue, il est une colonne autour de laquelle l’homme virevolte dans la liberté, une source près de laquelle il danse.
Pour cet homme viendront des moments où la fidélité ne sera plus vécue dans la spontanéité de l’être : le oui pèse, il est consenti sans amour. Alors,mais provisoirement, ce pédagogue qu’est la loi peut s’imposer, jusqu’à ce que rejaillisse à nouveau l’amour.
Pour un temps seulement : il est des hommes qui se placent toute leur vie sous la loi, mais quelle destinée de monotonie et de routine ! À plus ou moins longue échéance, la sclérose gagne. Rien ne rebute plus que des êtres figés dans l’apparence d’une vocation devenue sociologique.




Roger prie avec ces chrétiens sud-américains s’apprêtant à prendre les armes, de façon désintéressée, pour renverser la tyrannie, en communion avec eux, tant la violence oppressive marque leur société, malgré que l’Évangile en lui conteste l’usage de cette violence. Une lettre d’une telle fille aux contemplatifs : « Je m’adresse à ceux des contemplatifs qui se sentent interpellés par la misère et la lutte de l’homme d’aujourd’hui; au nom de ceux qui luttent, connus ou anonymes, au nom de tous ceux qui sont engagés dans la construction d’une société, je vous demande instamment : ne renoncez pas à votre vocation, sachez être totalement attentifs aux hommes en partageant leur recherches, leurs succès, leurs échecs, leurs luttes. Vivez au rythme des souffrances et des joies des hommes mais n’ayez pas peur de le faire à partir de votre vocation; recherchez des formes nouvelles, certes, mais ne rejetez pas ce qu’il y a de fondamental dans l’appel que vous avez reçu du Seigneur; le monde en a besoin, bien qu’il ne le sache pas ou ne l’explicite pas. » Roger se remémore la visite d’un curé aidant aussi les réfugiés, avec Emmanuel Mounier de passage à Taizé. Il invite à dîner des ingénieurs, dont un athée passant la foi des chrétiens au crible de ses connaissances, lui dit que dans le chemin du doute vers la foi les croyants portent cette interrogation, mais ne s’y arrêtent pas. Enterrement de Jean-Christophe, son soixante-septième petit neveu. « Lassitude, indifférence au Christ, c’est tout un. »  «  Rejoindre le Christ par des voies élémentaires. Écouter sa propre respiration: tu participes à une vie… écouter l’heure frappée à la cloche… écouter le vent traverser les tilleuls… »  « Ces enfants qui se tiennent chaque jour près de moi ! S’ils savaient combien leur attente du Christ soutient la nôtre ! » Un latino-américain : « Sans des lieux où se replonger pour des temps provisoires dans une prière contemplative, comment ne pas être rapidement dévoré par les idées ? Qui, en Amérique latine, assurera une permanence en des lieux où la prière ouvre à un sens d’éternité et où l’on soit à l’écoute des hommes de toutes tendances ? » Rencontre d’un prêtre ouvrier, non un homme essoufflé par le combat, mais un homme paisible, maître de lui, ardent de l’amour qui l’emplit, visage d’un être qui s’est pauvre avec l’homme victime.

À chacun sa nuit, mais plus s’obscurcissent les ténèbres plus l’homme découvre l’allégresse de croire. Pour lui, croire n’est-ce pas aussi consentir à sa nuit ? La refuser serait chercher un privilège. S’il voyait comme en plein jour, à quoi bon la foi ? Parti sans savoir où il allait, cet homme croit sans voir. Nulle crainte des ténèbres, elles sont illuminées de l’intérieur. Certitude solide comme le roc : à un moment donné se déchire la nuit et réapparaissent les aurores. Viennent ces aurores, et un jour notre mort, aube d’une vie. »

« Les femmes chrétiennes assurent les continuités, elles animent une tradition vivante, elles communiquent aux enfants le meilleur de l’Évangile. Nous, les hommes, avec notre volonté d’évangéliser, de vivre l’aujourd’hui de Dieu, de réaliser, nous risquons de n’assurer que le présent, et avec quel bruit… parfois ! » La création poétique est libération. Un récit de Raymond Oliver : « Le 16 août au soir, pendant la prière, nous étions tous tournés vers le chœur de l’église. Levant son regard, il voit à quelques mètres de l’icône l’image d’une femme qui tient un enfant, dans une lumière étonnante. Il ferme les yeux, les rouvre, les referme, demande à sa femme si elle voit quelque chose. L’image reste visible jusqu’à la fin de la prière mais il est seul à la voir. Il suppose que cela pourrait être Marie et Jésus mais, de formation protestante, ce jeune professeur d’université américain ignore tout de la Vierge. » Il ne pensait pas m’en parler ce matin. Mot laissé par élisabeth : « Si je récapitule toutes les erreurs de mon existence, il me semble qu’elles se résument en ceci : tantôt j’ai quitté le Christ pour les autres, tantôt j’ai quitté les autres pour le Christ, je n’avais jamais réalisé qu’il fallait me quitter moi-même. » « Laisser les autres pour le Christ, se laver les mains de ce qui concerne les hommes d’aujourd’hui; ou bien laisser le Christ pour les autres en vue d’un engagement pour la justice : cette alternative tiraille et disloque. Jamais le Christ sans les hommes ! Jamais les hommes sans le Christ ! » « Avoir opté pour l’amour. Ce choix ouvre en l’homme une blessure dont il ne guérit jamais. » Un latino-américain demande de chercher avec lui comment illuminer la révolution de l’intérieur, en vue d’une paix durable. Le trouble de l’Église intériorisé chez un jeune prêtre italien.


Rendre les pasteurs à l’esprit de fête

L’actuelle crise de confiance en l’homme arrache à leur identité beaucoup de ceux qui avaient dit oui au sacerdoce. Désemparés, ils ne savent plus à quoi ils servent. Où est l’essentiel de leur vocation ? J’en vois trois lignes de force spécifiques :

L’homme du sacerdoce cherche le Christ comme son premier amour. Il expose sa vie, il va jusqu’à la donner pour les siens.

Déliant sur la terre ce qui aussitôt le sera auprès du Christ, il est aussi l’homme de la libération. Il s’exerce à écouter, à sonder les profondeurs de la personne humaine. Plus il avance en âge, plus il sait comprendre et rendre l’homme à la liberté.

Il est encore celui qui fait vivre l’homme du mystère pascal dans l’eucharistie.

Comment ceux qui répondent à cette vocation la vivraient-ils isolés, sans nous ? Que pouvons-nous pour eux, avec eux ? Ce que nous n’imaginons pas. Ne pas les livrer à la solitude. Leur apporter notre confiance. Chercher dans leur ministère de libération un cœur de pauvre, réconcilié, unifié par Jésus-Christ. Et, du même coup, les rendre « au son de la joie et de la fête  ».

Certains disent qu’il y a de mauvais pasteurs. Quand cela est, gardons le silence… Nous qui luttons en nous-mêmes parce que fragiles et vulnérables, comment exigerions-nous d’eux qu’ils soient des surhommes ? »



Le célibat pour le Christ : une solitude qui n’est pas recherche de soi, mais qui nous ouvre à l’unique réalité, le Christ. Un Mexicain : l’Église se tient en marge de la société du pouvoir oppressif, de la puissance de l’argent, des privilèges, qu’elle dénonce, elle est, avec l’opprimé, en situation de faiblesse. Un autre : c’est la Vierge, celle de Guadalupe, qui a permis l’évangélisation de son pays. Le Christ a eu cette ultime intuition : « La crédibilité des chrétiens passe par la communion qui les relie en un seul corps. Si les chrétiens cherchent à être visiblement en communion, ce n’est pas un but en soi, ce n’est pas pour être mieux ensemble ou plus forts, c’est pour être véridiques aux yeux des hommes, pour offrir à tous les hommes un lieu de communion où l’incroyant lui-même se sente à l’aise, sans contrainte d’aucune sorte. » Notre communion est un feu allumé sur la terre, auquel on se brûle.

Roger écrit au général Franco : « Au nom de la dignité de l’homme, accordez la grâce aux condamnés de Brugos. En tout homme Dieu est présent. Ne blessez pas la conscience des jeunes. Avec beaucoup d’entre eux nous vous le demandons. » La communauté qui se réunit sait l’importance de la présence cachée au milieu d’elle, repas entre chrétiens dans le partage et la simplicité de cœur. « Comprendre et encore comprendre, sans s’émouvoir de la rudesse de langage de tel ou tel. Abandonner certaines structures mentales. Universaliser sa compréhension. » Exigence passionnée d’un syndicaliste italien pour l’Église, marque d’un amour : conscientisation et critique des structures aident à passer du refus à la créativité. Toute civilisation véhicule avec elle ses menaces, y compris celle de la technique, qui est neutre, tout dépend de l’usage qu’on en fait.

En cette période de l’histoire, un refus d’engagement pour l’homme au profit d’une seule intimité avec le Christ conduit au piétisme, à l’intimisme. Comment dire « Seigneur, Seigneur » sans accomplir la volonté de Dieu ? Et celle-ci est aussi engagement pour l’homme victime de l’homme. Pendant la seconde guerre mondiale, beaucoup de chrétiens en Europe priaient, indifférents à ce qui se passait autour d’eux, en particulier dans les camps d’extermination. Aujourd’hui comme hier, par notre refus de prendre des risques, par nos silences, nous pouvons soutenir, le sachant ou sans le savoir, des régimes politiques. Le silence des Églises devant certains drames a parfois été tel qu’il équivalait à un engagement politique presque explicite, allant jusqu’à accréditer l’oppression. À cet égard, nous avons tout un passé à digérer et nous n’avons pas fini, loin de là. Mais si, par réaction contre le piétisme ou contre le silence des Églises, certains chrétiens allaient prendre les options politiques les plus extrêmes et les saupoudraient seulement après coup du nom de Jésus, ce serait aussi à la limite « récupérer » le Christ. Pour le chrétien, impossible de mettre la charrue avant les bœufs. Comment engager toute son existence dans un combat avec l’homme opprimé, au risque de perdre sa vie par amour, sans puiser constamment aux sources chrétiennes et s’y abreuver. Alors, comme Dieu, l’homme devient créateur. Poursuivant une aventure intérieure avec le Ressuscité, pas après pas, dans une lutte ardente pour la justice, il participe à la marche de l’homme et de l’humanité vers la libération de leurs oppressions. »

2 février : frère Roger a réussi à trouver deux tourterelles, prévoit la surprise de tous lors de la célébration de l’Eucharistie : car c’est le jour où Marie présente l’Enfant au temple avec l’offrande de famille pauvre : un couple de tourterelles. « Les vieilles personnes [de Bourgogne] ont une dignité qui en dit long sur la culture transmise par des siècles de vie agraire. »  « Et si le printemps de l’Église se présentait à travers des visages d’enfants et de vieillards dont on n’attend rien ? Et si l’esprit de prophétie leur était accordé ? » Ces huit enfants, fils de mineurs de Montceau, qui chaque vendredi prient dans l’église de leur quartier, sans que personne ne le leur ait suggéré. Découvre que le carmel d’Avila prie chaque jour pour eux : « Je comprends pourquoi nous tenons. »


Un pasteur universel

Dans le cheminement œcuménique, la conspiration du silence maintenue autour du ministère du pape n’a-t-elle pas en partie gelé un processus ? L’œcuménisme pourra-t-il se débloquer sans en appeler à un ministère pastoral d’unanimité, au plan universel ? Et cela de manière concrète, parce que nous sommes des hommes avec des oreilles pour entendre et des yeux pour voir.

Un homme du nom de Jean m’a fait avancer dans cette perspective. Par son ministère, Jean XXIII m’a ouvert les yeux à cette voie d’universalité. Contemporains de ce témoin du Christ, nous demeurons interpellés par lui.

Lors du dernier entretien que j’ai eu avec Jean XXIII, peu de temps avant sa mort, j’ai saisi que son ministère prophétique avait été refusé et que par là, une heure de l’œcuménisme avait été manqué. Il avait renversé la situation de Contre-Réforme, entre autres en affirmant publiquement : « Nous ne voulons pas faire de procès historique, nous ne chercherons pas qui a eu tort et qui a eu raison. » Il avait pris de grands risques. Au concile Vatican II, contre l’avis de beaucoup, il n’avait pas hésité à inviter des non-catholiques. Il avait demandé pardon pour le passé. Il était prêt à aller très loin. J’ai compris sa peine de n’avoir pas reçu de réponse de la part des non-catholiques, si ce n’est des paroles d’amabilité. Lors de cette dernière conversation avec lui, j’ai compris qu’un prophète avait été rejeté, que les oreilles s’étaient bouchées. L’œcuménisme dès lors s’enlisait dans une voie de parallélisme, les confessions poursuivaient leurs routes séparées, dans une simple coexistence pacifique, sans plus. 

Si chaque communauté locale suppose un pasteur pour stimuler la communion entre ceux qui toujours se dispersent, comment espérer une communion visible entre tous les chrétiens à travers la terre sans un pasteur universel ? Non pas sur une pyramide, non pas à la tête (la tête de l’Église, c’est le Christ), mais au cœur.

Pasteur universel, l’évêque de Rome nous entraîne-t-il vers une Église de communion, ne s’appuyant pas sur des puissances économiques ou politiques ? Si oui, alors ce pasteur, porté par son Église locale, va compter très fort pour promouvoir une communion entre tous.

Que demander à ce pasteur, appelé à être un évêque pauvre, si ce n’est d’expliciter pou chaque génération les sources de la foi, et d’inviter en peu de mots les chrétiens, comme aussi beaucoup d’hommes au-delà des frontières de l’Église, à lutter contre l’oppression et l’injustice ?

Certes l’évêque de Rome est chargé d’un énorme poids d’histoire qui laisse encore mal transparaître la spécificité de sa vocation. Il est appelé aujourd’hui à se dégager des pressions locales pour être le plus universel possible, pour être libre de professer des intuitions prophétiques, pour être libre aussi d’exercer une pastorale œcuménique en activant la communion entre toutes les Églises, en interpellant même celles qui refusent son ministère.

La responsabilité du « serviteur des serviteurs de Dieu », non seulement pour les catholiques mais aussi pour les non-catholiques, n’est-elle pas en un mot de confirmer es frères pour qu’ils vivent d’une même foi, d’une même pensée ? « pierre, confirme tes frères. »

Peut-être,par ces lignes, ai-je blessé quelqu’un, ai-je suspendu une pierre à son cou. Qu’il suspende alors à mon propre cou cette pierre trop lourde pour lui. Non pas que je prétende pouvoir la porter, mais du moins j’essayerai.



À New York, reçu par l’assemblée des évêques anglicans, frappante par son écoute. Déçu par l’uniformisation et la monotonie des accents futuristes de New York. Si le Christ n’est pas ressuscité, pas la peine de s’engager. Dorénavant il y aura un représentant du prieur de Taizé auprès du Saint-Siège. « J’aime cette  « Église pérégrinante qui est à Rome » et son évêque. Que puis-je lui demander sinon qu’il éclaire, qu’il nous réchauffe par un feu, qu’il stimule la communion entre toutes les Églises ? » En chinois le mot crise est composé de deux idéogrammes : catastrophe et espérance. « Un printemps d’Église est à la porte. Bientôt il nous réchauffera par un feu. » Giuseppe Roncalli, frère de Jean XXIII, à son fils Fulgenzio, devant les jeunes pauvrement installés sur la colline de Taizé : « D’ici sortira quelque chose que mon frère a commencé. »

6 octobre : « Aujourd’hui je n’ai rien d’autre à écrire que ceci : si tant de peines sont pour le Christ, pour son corps l’Église, pour les hommes, alors je poursuivrai. » Aux carmélites de Châlons, présentes à la prière de Taizé, en leur offrant quelques noisettes : « Ces noisettes, apportées d’Avila ce printemps, proviennent d’un noisetier qui, selon la tradition, a été planté par sainte Thérèse. La tradition et la poésie se rejoignent. La tradition brode une trame qui exprime une continuité. Elle emploie des fils multiples, variés, sombres ou chatoyants. Si elle ne se fige pas, elle développe à l’infini la trame et la couvre de signes toujours nouveaux. » Lettre de madame Gandhi : « C’est bon de votre part d’offrir d’envoyer des volontaires pour travailler dans les camps de réfugiés. Cependant je crois qu’ils peuvent nous apporter une plus grande contribution en mobilisant l’opinion publique dans leur pays. » Mais la communion ne peut s’arrêter là. « Se déprécier ou se faire valoir : deux attitudes qui procèdent d’un même narcissisme, cette régression infantile qui empêche l’homme d’être lui-même. » Nous sommes en Occident marqués par le juridisme et l’impérialisme des romains, l’Église de la Réforme a voulu se libérer du juridisme et en a sécrété un nouveau; les pays marxistes stigmatisent l’impérialisme et en organisent un autre. Frère Roger conseille aux jeunes de faire appel aux capacités de discernement des moniales, développées par une expérience de beaucoup d’années. « La critique suppose les compétences et la connaissance de soi, sinon elle n’est qu’une continuelle projection de son propre ravage intérieur sur les autres, sur le peuple de Dieu. »

« Long entretien personnel avec Paul VI. Le mystique en lui l’emporte. Il veut comprendre le dessein de Dieu. Il veut comprendre le dessein de Dieu. Quand je lui parle des jeunes, il saisit si bien. Dans sa bouche, jamais de mise en garde. À la fin de l’entretien, je prononce des paroles que je ne pensais pas dire : « Le nom de Taizé est lourd à porter, il est des jours où je voudrais le voir disparaître. » Le pape répond : « Non, le nom de Dieu ne peut pas disparaître. » Et il fait une comparaison généreuse avec un exemple historique. Paul VI ajoute encore: « La première fois que nous nous sommes rencontrés, vous m’aviez dit que vous étiez des pèlerins en marche et je m’en suis toujours souvenu. » Ce devait être lors de notre entretien de 1949.? Oui, nous sommes des pèlerins, pauvres de moyens. Et le pape de conclure : «  Je suis moi aussi un pauvre. » Message à Paul VI : « Le célibat, folie de l’Évangile pour les hommes et annonce du Royaume qui vient, aimera l’Église de Dieu dans sa vocation unique à être le sel de la terre. Le célibat n’est certes pas une voie de facilité, par lui des hommes donnent au Christ toute leur vie sans en réserver une part pour l’avenir, par lui ils reçoivent au centuple mais avec des persécutions, vécues en une lutte intérieure pour ceux que Dieu leur confie. Loin de contredire la sainteté du mariage chrétien, le célibat stimule des chrétiens à découvrir ce qui est spécifique dans la vocation du laïcat, à savoir un « sacerdoce royal » déposé en chaque chrétien qui est de vivre le Christ pour les hommes. Ainsi des chrétiens porteront plus explicitement en eux une part du ministère de l’Église.  » Si on ordonne des hommes mariés, ce qui est nécessaire dans certaines situations locales, qu’ils aient fait leurs preuves dans la vie conjugale. « L’affaissement du nombre des vocations est le même dans les facultés de théologie protestante dont les étudiants ont toujours pu se marier. » La préparation au ministère doit apporter une capacité de s’interroger sur soi-même tout au long d’une vie, découvrir le pourquoi de ses comportements. La presse a fait un usage de son message à Paul VI qui en tord le sens.

« La réussite est une notion sociale aux antipodes de l’Évangile. La recherche du succès engendre une forme subtile d’égocentrisme. Accepter de trébucher toujours. Nos expressions sont maladroites, jamais parfaites. Nos symboles sont ambigus. » « La démarche œcuménique actuelle nous place au cœur d’un dilemme : comment entrer dans une communion plus universelle sans demander à personne de passer par un reniement d’une foi que ses pères lui ont transmise avec honnêteté ? Comme solution provisoire pour la génération charnière, trouverons-nous la possibilité d’une « double appartenance » ? » « J’ai trop aimé de tout mon être pour que me devienne habitude la solitude. L’âge gagne peu à peu. Tout est consenti. L’âge a endigué le flot impétueux. Enfin je sais aimer. En moi, les fleuves intarissables d’amour qui émergent à tous moments coulent paisibles entre des berges ménagées au creux de vastes plaines. »


Silence de la contemplation

La prière, cette descente dans les profondeurs de Dieu, n’est pas là pour que nous soyons mieux dans notre peau. Prier non en vue d’une utilité quelconque mais pour créer avec le Christ une communion d’hommes libres.

Quand l’homme tente de donner à cette communion une expression par des paroles, ce sont des prières conscientes. Mais l’intelligence exprime seulement la surface de la personne. La voilà bien vite prise de court… et le silence l’emporte, au point de paraître signifier une absence de Dieu.

Plutôt que de se bloquer sur les aridités du silence, savoir qu’elles ouvrent à des possibilités créatrices inconnues : dans le monde sous-jacent à la personne humaine, dans l’infraconscient, le Christ prie plus que nous ne l’imaginons. Par rapport à l’immensité de cette prière du Christ en nous, notre prière explicite est réduite à peu de chose.

Oui, l’essentiel de la prière se passe surtout dans un grand silence…

Toute prière demeure ardue pour l’homme livré à la solitude. Dieu a fait l’homme social, il lui a donné vocation « politique ». Serait-ce pour cela que la contemplation devient plus aisée quand elle est vécue avec d’autres ?

Silence de la contemplation ! En chacun de nous gisent des abîmes d’inconnu, de doute, de violence, de peines intimes… et aussi des gouffres de culpabilité, d’inavoué, au point que s’ouvrent les immensités d’un vide. Des pulsions bouillonnent, elles viennent d’on ne sait où, peut-être d’une mémoire ancestrale ou génétique. Laisser le Christ prier en soi avec la confiance de l’enfance, un jour les abîmes seront habités.

Un jour, plus tard, nous constaterons en nous une révolution.

À long terme, de la contemplation surgit un bonheur. Et ce bonheur d’hommes libres est moteur de notre lutte pour et avec tout hommes. Il est courage, il est énergie pour prendre des risques. Il est débordement d’allégresse.


« Être joyeux, chercher le meilleur et laisser pépier les moineaux. » (Jean XXIII) Roger demande au petit Jean-Paul pour qui prier : « pour tous les gens de la terre ». « Depuis deux mille ans, nous chantons l’invraisemblable espérance d’un Christ venu pour libérer tout être humain, non seulement ceux qui vivent explicitement de lui, mais chaque homme, en chaque lieu, non seulement quelques privilégiés ou une seule ethnie, mais tous les hommes, de toutes les races, de tous les peuples. » Lettre d’une paysanne : « Je me moque de moi-même en vous écrivant. Qui suis-je, moi pauvre paysanne, pour écrire à frère Roger ? Et pourtant j’ai envie de vous dire merci… surtout pour « Ta fête soit sans fin ». Dans ce livre, c’est un ami qui me parle de l’Ami avec des mots que je sens et que je ne sais pas dire. Merci pour votre optimisme, votre confiance en l’homme. Et pour la poésie si jeune, si fraîche, malgré toutes les difficultés. » Continuer des chemins parallèles dans chaque confession, trouver des raisons-alibis, tromperait l’attente œcuménique du peuple de Dieu. Mort accidentelle de Mgr Valencia, qui était un point de référence en Colombie. La mère de frère Roger : « Ce qui compte pour Dieu, c’est le cœur. » Notre vie de chrétiens se situe entre deux montagnes : celle de la transfiguration, et celle où Jésus a connu la tentation. « La haine de soi est plus proche de l’orgueil que de l’humilité. Si nous n’osons pas croire, au moins un peu, à notre amour pour Dieu, nous ne pourrons pas croire à son amour pour nous. » « Aucune aventure forte et commune ne peut s’accomplir sans qu’apparaisse la tentation. Au Christ, le séducteur proposait tous les royaumes de la terre s’il se soumettait à lui. Ces royaumes de la terre portent des noms : recherche tellement illusoire d’influence sur les autres, volonté d’un pouvoir. Cela, c’est le dessèchement à coup sûr. » L’ampleur de la communion prend toujours sa source dans le Christ. L’Église ne peut que s’élargir.


Citations





Ad majorem Dei gloriam