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Aperçus de la pensée du frère Roger

La règle de Taizé (1966) : « Chaque jour t'élancer à nouveau vers le Christ. »

La règle de Taizé, malgré et par sa simplicité même, s'inspire des grandes règles monastiques. Frère Roger explique ici la raison des diverses consignes et observances, en ordonnant tout clairement au Christ, sans que jamais la règle ne paraisse un aboutissement. Protestant très conscient du rôle premier et permanent de la grâce du Christ, il rappelle qu'elle ne peut dispenser de demeurer ouvert au dessein de Dieu, à la charité du Christ, à la lumière du Saint-Esprit. Telle est la raison pour laquelle frère Roger s'en est tenu à l'essentiel, pour montrer qu'une règle n'est pas négation d'une personnalité, mais débarrasse des entraves naturelles nous empêchant de vivre la liberté totale de l'Esprit; il prévient néanmoins que cette liberté laisser ne doit pas devenir « un prétexte à vivre selon nos propres impulsions. » Le Christ est la seule cause et le seul but de la règle, qui intègre ta louange et ton service dans une vie de communauté, elle-même insérée dans l'Église.

De même, vu la primauté de la grâce christique, l'ascèse n'est là que pour creuser la disponibilité : « Porter les fardeaux des autres, accepter les mesquines blessures de chaque jour, pour communier concrètement aux souffrances du Christ, voilà notre première ascèse. » Et de rappeler la loi pascale du grain qui perd sa vie s'il n'accepte point de mourir. Résonne tout au long de la règle la nécessité de l'engagement total, corps et âme, dans le chemin qu'est le Christ, dans une intégration bénédictine de la liturgie de la louange du Christ dans la vie quotidienne pour en faire une opus Dei : abandon en Christ qui n'est ni paresse ni accoutumance mais participation de tout notre être par l'intelligence et par le corps à l'œuvre de Dieu, intégration au Christ que symbolise le vêtement liturgique. L'absolu de la vocation ne conduit pas au rejet du monde, mais au témoignage d'une pureté du cœur, liée à sa transparence, et contraire aux tendances de la natures. Il s'agit bien d'une voie opposée à toute raison humaine. Mais « le célibat ne signifie ni rupture des affections humaines, ni indifférence, mais il appelle la transfiguration de notre amour naturel. »

Prières personnelle et communautaire se soutiennent mutuellement vers une intimité renouvelé avec Jésus-Christ se donnant à nous visiblement dans le Sacrement. La régularité la fait croître au-delà de nos inattentions et défaillances : la présence corporelle à l'office signifie déjà le désir de louer son Seigneur, et la semence germe on ne sait comment, nuit et jour (Mc 4 27)...

Le silence est renouvellement de la communion, intériorisation de la paix. La vie en communauté nous apprend à compter en tout avec ses frères. Le conseil de communauté recherche toute la lumière sur la volonté du Christ, alors il faut fuir les contestations et la tentation d'avoir raison, les il faut et les arguties. Dégagé des pressions humaines, le Seigneur écoute le plus timide avec la même attention que le frère plein d'assurance. « Le calme est une nécessité par amour pour les frères qui prient, lisent, écrivent ou, le soir, se reposent. » L'ordre n'a de but que l'harmonie, à chacun de discerner dans ses négligences son manque de ferveur, la vie de méditation, d'oraison, est là pour rechercher l'ordre que Dieu nous donne, pour témoigner de lui de tout notre corps. Dans le silence intériorisé, on remet tout au Christ dans une rencontre intime avec Lui. Alors, si nous n'avons point peur de la souffrance, naîtra la joie parfaite, gratuite, hétérogène à la moquerie, poison d'une vie commune, à l'ironie qui fait grimacer le sourire. Le chemin de la simplicité est chemin de loyauté envers soi-même, limpidité, ouverture et disponibilité au prochain, hors de l'obsession de nos progrès ou reculs.

La première attitude est celle de la miséricorde, de la réconciliation jusqu'à soixante-dix fois sept fois (ce qui n'est point indifférence et ne dispense point de l'exhortation seul à seul), de dépassement de nos antipathies et préjugés naturels, vers une surabondance d'amitié - le tout imprégné dans la louange des compassions du Seigneur. Sachons rechercher et profiter des marques visibles et répétées de Son pardon que nous donne le Christ dans l'absolution, qui nous rend à la joie du salut (Ps 51 14) et nous réintègre au corps blessé par notre péché. En sus du sacrement de réconciliation proprement dit (sur lequel frère Roger insiste ici et ailleurs, dans son souci œcuménique), frère Roger insistera plus loin sur la nécessité de se confier à son « conducteur » (autre tradition bien catholique).

« Sois ferment d'unité. »

L'attitude miséricordieuse quotidienne de chacun, de pardon, évitant toute mesquinerie, toute comparaison, doit se retrouver au niveau de la communauté. Frère Roger insiste sur l'absolue nécessité du ministère de prieur (en des termes que l'on retrouvera à propos du pape), qui prend conseil de ses frères et n'est point délivré des faiblesses humaines (ainsi les frères ne doivent point l'aimer pour ses qualités humaines...), mais a la charge des décisions en vue de l'édification du corps dans le Christ, par le discernement des dons de chacun; sans autoritarisme ni faiblesse mais avec miséricorde et fermeté. « Ne prends jamais ton parti du scandale de la séparation des chrétiens confessant tous si facilement l'amour du prochain, mais demeurant divisés. » « Aie la passion de l'unité du Corps du Christ. »

L'audace de la communauté de biens, et de l'esprit de pauvreté, donne une force incalculable et une joyeuse confiance, dans l'allégresse de l'aujourd'hui. Ceci s'exprimera par la prière d'intercession pour l'Église et pour tous, par l'hospitalité généreuse, par l'aide à tout déshérité, sans distinction aucune, par le témoignage missionnaire de certains.
Alors, se fiant comme Abraham à la foi et non à la vue, les frères avanceront vers la récompense promise par le Christ à ceux quittent tout pour Lui et cherchent premièrement le Royaume et sa justice. Demeurant dans la simplicité et dans la joie de l'amour fraternel et de la miséricorde, dans le souci de la communion humaine avec le prochain, et sans regarder en arrière (Ph 3 13), ils pourront devancer l'aurore (Ps 119 147), réaliser la parabole de la communauté, témoins du Christ, signes d'amour fraternel et de joie dans l'Église et dans le monde.




Citations